En marge de la rédaction du troisième motif de Confettis d’empire, « le royaume perdu d’Abomey », méditant sur les statues des rois Béhanzin et Glélé, sur l’autel kono rapporté par Michel Leiris et Marcel Griaule, exposés au musée du quai Branly, je notais en esquisse d’un inventaire infini :
Dès la fin du XVe siècle les voyageurs ramènent des objets en plume, « En 1486, un navigateur, Diego Câo, rapporte du Congo au roi du Portugal « des dents d’éléphants et objets en ivoire décoré » », […] les objets rapportés par Christophe Colomb : un inventaire des pièces échangées et acquises sous la contrainte, établi en 1495-1496, comprend des masques, des miroirs, des idoles (zemis), des spatules vomitives, etc. […] Si les premiers objets envoyés en Espagne sont conservés intacts, ceux qui arriveront par la suite seront dépouillés de leurs incrustations et finalement jetés ; seules quelques rares pièces furent sauvées qu’on retrouve dans les collections des principaux monarques européens d’alors. […] Les objets envoyés par Cortès à la cour d’Espagne : la première cargaison comprend l’ensemble des trésors que Moctezuma II a fait parvenir au conquistador, en 1519. Ces trésors sont exposés en 1520, à Madrid, Valladolid et Bruxelles (où Dürer les admire), objets de vanneries apportés par les « Quatre mages indiens » venus en 1710 en Angleterre en qualité d’émissaires politiques des nations alliées, la collection de curiosités du célèbre botaniste anglais John Tradescant, en France de Claude Fabri de Peiresc, la plus importante fut la collection d’histoire naturelle et d’ethnographie d’Ole Worm, à Copenhague, acquise par le roi du Danemark en 1654.
Dès le XVe siècle, ces pièces, « merveilles » ou « choses rares » [voir leur écho chez les Surréalistes, la rencontre avec l’objet et son sens chez Breton : l’exposition surréaliste de la galerie Charles Ratton présente : des pièces de Nouvelle-Guinée et d’Amérique, des « trouvailles » et des ready-made (confluence de l’objet trouvé, de l’objet tout fait, mais aussi de la psychanalyse (de l’objet trouvé à l’acte manqué) [Selon Julien Gracq, la fascination des surréalistes pour les arts océaniens et américains tient au fait que pour ceux-ci, et au premier chef pour Breton, « le primitif, baigné qu’il est dans un monde entièrement magique, c’est-à-dire où s’établit une résonance, un unisson continuel entre l’homme et les choses, où sautent les barrières de la conscience individuelle, leur est toujours apparu comme l’incarnation de pouvoirs oubliés par l’homme et que le surréalisme brûle de reconquérir » (Publication Orgie, 1950, repris dans L’Herne n° 20, Julien Gracq, 1972)] prennent le chemin des cabinets de curiosité (Kunst-und-Wunderkammern) : François Ier, les Médicis à Florence (Laurent de). Objets rapportés par Louis Antoine de Bougainville (1729-1811) en 1769 de Tahiti avec le Tahitien Aoturu, en 1772 ou 1773 Cook achète en Nouvelle-Calédonie plus de 150 pièces (principalement des armes), puis lors de son deuxième voyage les sculptures moai kavakara de l’île de Pâques, beaucoup d’objets sont rapportés des expéditions en Océanie : les collections Cook vont au British Museum créé en 1753, Johann Reinhold Forster (naturaliste de la deuxième expédition) donne les siens à l’université d’Oxford, le dessinateur John Webber (troisième voyage) lègue les siens au musée de Berne, le British Museum se dote en 1780 d’une galerie des Mers du Sud (pièces océaniennes et américaines) ; les objets rapportés en Angleterre par les missions Cook sont à l’origine de plusieurs collections muséographiques. Outre celles du British Museum et de l’université d’Oxford, celle du musée d’ethnographie de Saint-Petersbourg fut constituée à partir des quelques pièces offertes au gouverneur du Kamchatka par l’équipage anglais à l’étape de Petropavlosk. La plus grande partie des pièces collectées lors du troisième voyage fut acquise par sir Ashton Lever, riche collectionneur anglais qui devait sa fortune à l’exploitation des mines de charbon. En 1806, la vente de sa collection attira les amateurs de l’Europe entière. L’un des principaux acheteurs fut l’empereur d’Autriche, qui constitua ainsi le fonds initial de la collection ethnographique du Cabinet impérial d’histoire naturelle à Vienne, le futur Museum für Völkerkunde. Sous le rouleau compresseur de la politique coloniale, le colonisateur a parfaitement conscience que tout un patrimoine est en train de disparaître sous son action : ainsi Adolf Bastian, chirurgien de Marine et « patron » de la muséographie allemande écrit : « Avant tout, achetons en masse, pour les sauver de la destruction, les produits de la civilisation des sauvages et accumulons-les dans nos musées. » Dès 1886 les collections du Museum für Völkerkunde comprennent près de 10 000 objets provenant essentiellement de l’Afrique centrale. Objets rapportés par Brazza au Trocadéro, des reliquaires kota, mahongwé, en 1896 un tambour à fente yangéré. Objets rapportés du Congo à Tervuren. En 1882 le général anglais Pitt-Rivers offre en 1882 à l’université d’Oxford les quelque 14 000 pièces de ses collections. A la fin du XIXe siècle en Europe, les collections africaines s’enrichissent de sculptures du Congo, du Cameroun et à partir de 1897, après la capitulation du roi Béhanzin (1894) d’objets en ivoire et en bronze du royaume d’Abomey. Ces pièces vinrent, en outre, alimenter les collections du Museum für Völkerkunde à Berlin, du British Museum à Londres et du Pitt-Rivers Museum à Oxford. A Berlin les mers du Sud sont également bien représentées à la suite des grandes collectes des années 1884-1910, en réalité de simples opérations de pillage. Puis la mission Dakkar-Djibouti (Leiris, Griaule et Rivière) en 1931-1933 : la France, avait pris quelque retard sur les autres puissances coloniales européennes (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas). L’un des objectifs de cette mission était de combler les lacunes des collections du musée du Trocadéro. Rapport de la Commission des finances de la Chambre des députés : « Pour une grande nation coloniale comme la France, il y a un intérêt capital à étudier les peuples indigènes, à avoir une connaissance exacte et approfondie de leurs langues, de leurs religions, de leurs cadres sociaux. » « La falaise de Bandiagara, en pays dogon, fut un des sites les plus exploités et explorés par les ethnologues de la Mission Dakar-Djibouti (mai 1931-mars 1933) : 3600 objets, 3000 clichés, 200 enregistrements sonores pour le musée du Trocadéro et 300 manuscrits éthiopiens pour la Bibliothèque nationale. En 1935, Deborah Lifchitz et Denise Paulme retournèrent dans cette région, au cours de la Mission Sahara-Soudan, conduite par Marcel Griaule. Elles collectèrent de nombreuses pièces (près de deux cents statuettes, portes et serrures sculptées) pour le musée d’ethnographie du Trocadéro. » Dans les années 1960 sous l’égide du musée de la Porte Dorée de nouvelles campagnes de collectes sont organisées en Afrique et en Océanie. En 1964 le musée acquiert la collection de Karel Kupka de 241 peintures sur écorce des aborigènes d’Australie. C’est en 1954 que Nelson Rockefeller, gouverneur de l’Etat de New York, fonda le Museum of Primitive Art auquel il devait léguer, en 1969, sa collection de 3300 pièces d’art d’Afrique, des Amériques et d’Océanie.
Les accords de Nouméa (1998) prévoient la restitution aux Kanaks des objets de leur patrimoine.
« Un officier qui a réussi à dresser une carte ethnographique suffisamment exacte du territoire qu’il commande est bien près d’avoir obtenu la pacification complète. » Gallieni (In R. Delavignette et Ch.-A. Julien, Les Constructeurs de la France d’Outre-Mer, anthologie, Paris, 1945)