Petite suite de mémoire soviétique et printannière

Cette année-là, Vassili Grossman implore le camarade Sergueïevitch Khrouchtchev : « Rendez la liberté à mon livre. » Le verbe faisait encore peur aux machines à terreur. Mon siècle, mon fauve, tes prunelles m’accrochent l’œil au fond de tes corridors. Boris Pasternak mourut avant que Iouri Gagarine ne s’envole à bord de Vostok-1 pour un tour de la Terre en cent huit minutes.

Puisqu’on allume les étoiles,
c’est qu’elles sont à
quelqu’un nécessaires ?

Le 14, jour où Maïakovski se tira une balle dans la tête, tout le monde n’a pas vu qu’c’était l’printemps. Ma sœur la vie. C’est certain, je est un autre. Bien trop étroit. Et il s’endort en boudant. Celui-là seul avait la nouveauté de l’époque dans le sang. Et il était mort. Bien plus tard, il fit passer Le Docteur Jivago en Italie et fut enterré le jeudi 2. Les pommiers et les cerisiers étaient en fleurs. Et aussi Marina Tsvetaïeva. Et les autres. Combien de récits de la Kolyma ? Retour à la maison des morts. 1905. Et Guerman Titov fit dix-sept fois le tour à bord de Vostok-2. Malade comme un chien. Une chienne. Laïka. Pour se soutenir, il récite un ou deux poèmes de Sergueï Essénine. La revue Novy Mir (Nouveau Monde) avait refusé Vie et destin. Bientôt Alexandre Soljenitsyne publiera Une journée d’Ivan Denissovitch (1962). Le directeur de la revue passa une nuit aussi blanche que la mer à lire ce récit d’une journée au bagne. Une simple histoire écrite avec des mots était encore pleine de dangers pour les ingénieurs des âmes. À chaque repas, ayons une pensée joyeuse pour Choukhov. Seuls nous comprendrons ceux qui ont léché notre écuelle. Loin encore dans le bruit du temps, Nadejda au nom d’espoir – pas la Kroupskaïa, non, la Mandelstam – gardait aux creux de son cerveau les vers de son mari disparu où et quand ? Dans la neige. Dès qu’il apprit son arrestation, Pasternak avait entrepris des démarches auprès de Nikolaï Boukharine :

… Le montagnard du Kremlin
aux doigts gros comme des larves…

Joseph Staline l’appela alors au téléphone. Le dictateur et le poète un instant reliés par un fil. Bien plus tard, Vostok-3 et Vostok-4 se livrent à un premier ballet orbital qui épate la galerie. À New York, le poète Georges Adamovitch vient juste de publier dans la revue Vozdusnye puti (Les Voies aériennes) quelques uns de ses poèmes. D’Anna Akhmatova aussi. Une sorte de résurrection. Ils passent même parfois l’opacité de la traduction. Sûr, le samovar de Lénine fume encore !

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