Triptyque de la consolation – Scène 41/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :

Photo d'Adolf Eichmann détenu à Jérusalem

… l’avocat jetant ses dernières cartes perdues d’avance …

« Cependant, tous ayant maintenant traversé l’hiver, un nouveau printemps s’avançant, ils reviennent sous le chandelier à sept branches, le condamné dans sa cage, le public, peu nombreux, l’avocat, le procureur général et ses aides. Quand la garde annonce la cour et que tous se lèvent, posées sur les mêmes toges noires, ce sont de nouvelles têtes qui surgissent. Remplaçant le jury de première instance, les juges de la cour suprême prennent place. Ils sont cinq cette fois. C’est à l’avocat massif, aux cheveux blonds et ras, de parler. Dans une sensation de ressassement, il répète devant la juridiction d’appel ce qu’il a plaidé huit mois plus tôt, déployant les mêmes arguments, les poussant toutefois un cran plus loin, n’ayant plus rien à perdre, jouant le tout pour le tout, redisant de sa voix grasse et égale l’incompétence du tribunal, l’illégalité de l’enlèvement dont son client a été la victime, demandant la comparution de personnages haut placés, les ministres de la justice des deux pays, tentant d’impliquer un secrétaire d’État du gouvernement de Bonn qui avait autrefois apporté son concours à la rédaction des lois raciales, l’avocat jetant ses dernières cartes perdues d’avance, lançant des menaces, en appelant aux Nations-Unies, faisant tout pour infléchir la décision, redisant qu’il n’avait été, son client, qu’un exécutant, récusant une nouvelle fois la légitimité de l’État d’Israël à conduire le jugement, demandant à ce que soit rouvert le dossier hongrois, en particulier celui de l’affaire Kastner qui pourrait remettre à vif des plaies non encore tout à fait refermées, invoquant de grands noms philosophiques, le baron de Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau, pour condamner la peine de mort. Alors le procureur se lève pour son ultime prise de parole et répète les mêmes arguments contraires qu’il a déjà donné à dix reprises, mais maintenant sans avoir à hausser le ton, et rejette de nouveau, une à une, toutes les demandes de la défense. Quand il se tait, les cinq juges se retirent pour délibérer, laissant pour la seconde fois la décision suspendue dans l’air. »

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