Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :
« Puis ce sont les vacances de Noël. Ses parents à elle et ses frères et sœurs passent le réveillon à la campagne, chez ses grands-parents, dans la petite maison près du lac. Ça lui fait quand même drôle, un premier réveillon sans eux. Ce soir-là, elle est donc chez ses beaux-parents, avec lui, son mari, ses beaux-frères, ses belles sœurs. C’est un Noël de famille. On mange. On boit. On rit. On s’offre des cadeaux. Un sac à main. Une cravate. Un disque trente-trois tours. La Neuvième de Beethoven. Dans un coin du salon le sapin clignote. Rouge. Vert. Jaune. Une étoile au sommet. Et déjà c’est la rentrée. Elle prend une nouvelle fois le car et refait les quatre kilomètres à pied. Les champs sont maintenant gelés. À chaque pas, un jet de buée lui sort de la bouche. Seuls le vert mat des prairies et le bronze des résineux apportent leurs vagues couleurs à la grisaille. À l’horizon, le treillis des troncs et des branches raidis dans l’hiver griffe dans tous les sens la toile plombée du ciel. Quand elle arrive dans l’unique pièce glacée au-dessus de la mairie-école, il lui faut allumer la cuisinière d’émail blanc avec une mèche de papier journal puis verser le charbon et patienter, toute emmitouflée, avant que l’air se réchauffe. Elle s’allonge dans le lit neuf, toute habillée, et s’endort les mains en corbeille autour de son ventre. Le fruit de ses entrailles. Demain, elle a rendez-vous avec sa classe de petits villageois.
Et moi je bouge. Je cogne à la porte. Je hoquette. Je m’étire. Je bâille en simulacre de respiration. Je me fais la peau. Quatre couches. Je plie les doigts. Ma bite est là, entre mes jambes. Mes gencives poussent. Je chie noir et même je pense. Enfin presque. »