Triptyque de la consolation – Scène 22/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation récemment paru :

Cliché 51 de Rosalind Franklin

… apparaît un x constitué de stries …

« Que la nuit soit. Que la lumière se lève. Jaillit un disque sombre, une ombre, une éclaircie, un orbe lumineux au grain radiographique troué d’un cercle blanc formant une silhouette noire au sein de laquelle se dessine une image de kaléidoscope. À l’intérieur du halo oblong apparaît un x constitué de stries et dont les branches forment en creux quatre losanges. La trace projetée d’une structure encore jamais vue. L’apparition de son aura prise dans la diffraction des rayons électromagnétiques. Le signe spectral venu du fond de la vie. Un mur de brique peint en blanc, les carreaux de faïence blanche, le robinet à triple sortie forment le décor d’un laboratoire. Punaisé au mur, un dessin au crayon montre une sorte d’escalier à vis. Devant, deux jeunes savants posent en costume sombre, chemise immaculée, cravate ficelle, l’air endimanché, très décontractés, paraissant blaguer, hilares comme des étudiants qui viendraient de faire un bon coup, l’un portant une boule de cheveux sur le devant, l’autre en position de hauteur, un peu plus âgé et déjà dégarni, pointe une règle à calcul vers la construction qui se dresse entre eux : soutenue par une potence métallique, une fragile double hélice d’environ deux mètres de haut dont les deux brins sont reliés par des sortes de barreaux. Les deux brins se déploient en une somptueuse danse fluorescente sur nuit d’encre, les anneaux bleu azur, orangé, bleu céleste, jaune, desquels se détachent des filaments d’acide bleu pâle. Des fragments de cette chaîne aux couleurs synthétiques, bleu turquoise, vert, vermeil, orange, reliés par des molécules formées de petits tubes ajointés par des boules, aux couleurs gris argent, bleu électrique, rouge ou violet. La valse des trois entités, l’ADN faite de billes de différents volumes, deux petites collées sur une plus grosse, vert acide, bleu givré, parme, dont la surface bombée accroche la lumière, la protéine constituée d’un long ruban plat, rouge vif, s’entortillant sur lui-même, l’enzyme, long serpentin bleu saphir. À la surface, s’étend une paisible campagne avec son éternel horizon, ciel en haut, étendue d’herbe en bas, au loin une ferme ainsi qu’une broussaille d’arbres dépourvus de feuilles, une paisible prairie à l’herbe rase, au milieu de laquelle se joue cette mise en abyme : au centre un individu barbu, roux, presque chauve, au visage rond et jovial, l’air d’un gentleman farmer, boutons de manchettes et cravate jaune, s’appuie de ses mains potelées au cadre doré d’un grand miroir où se mire, museau collé à la surface polie, une jeune brebis à la laine fournie, aux pattes grêles et blanches, ainsi campée devant la vitre qui renvoie son image, non pas une mais deux fois, trois corps de brebis aux trois têtes obtues, aux narines étroites, aux yeux petits, aux oreilles pointues, trois masques triangulaires, surpris de se rencontrer là en triple exemplaire, dans une duplication virtuellement infinie sur laquelle se referme le long cortège héréditaire et s’ouvre le visage de notre devenir. »

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