George Steiner rappelle quelque part cette évidence : le poème précède toujours le commentaire. Avertissement utile en période d’inflation académique. Mais qu’est-ce qui précède le poème ? La guerre. Tel est aussi l’effarement originel de Steiner : comment comprendre la proximité du poème et de l’horreur ? Gustave Moreau le signalait dans L’Assembleur de rêves : « […] Au milieu du sang, des cris, des larmes, la lyre, la lyre, toujours la lyre émerge et apparaît radieuse. » Les actes les plus sanglants, les carnages les plus destructeurs n’ont pour suite que leur récit. Sinon l’oubli. Telle est la scène d’Apocalypse Now, au cœur des ténèbres, où Marlon Brando alias Kurz lit The Hollow Men de T.S. Eliot. À son chevet, The Golden Bough de James George Frazer. La légende. Le poème. Le poème et la guerre. La guerre qui n’est pas seulement la cause du poème mais peut-être son obscure nécessité. Lisant récemment le recueil d’articles de Joseph Roth, Une heure avant la fin du monde, je m’arrête page 142 : « […] il n’est plus de inter arma silent musae qui tienne, et l’on devrait s’habituer à cette autre version : inter arma clamant musae de profundis. » De profundis. Quel autre destin sinon de faire la guerre et puis d’écrire des poèmes ? Voire de faire la guerre pour écrire des poèmes ?
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Editoriaux inactuels