Mer d’asile

Serge-au-navire« T’as pas trois couronnes pour un matelot ? » C’est comme ça qu’il t’accoste. Autrefois il a fait la traversée. Plusieurs même. Aujourd’hui, il ne quitte plus le port. La côte du moins. Il navigue côté terre. Les yeux au large. Il longe l’ancien chemin des douaniers aux herbes balayées par le vent. Ça l’inspire. Le vent. Il plante son pied et tourne autour. Il cherche. Il hume. Il renifle. Il palpe l’air de ses grandes mains qui cherchent à saisir. Quoi ? Il nettoie un nuage ici un nuage là. Il souffle. Le soleil s’en vient. Le soleil s’en va. Et lui passe entre les deux. Tout en ombres et lumières. Mais vrai. Il y a une échelle blanche contre le rocher. Si c’était l’inverse ce serait une ombre. Mais non. Un phare au loin clignote. Il n’y a plus de bateaux depuis longtemps et lui continue d’émettre ses signaux comme un vieux poète aveugle qui déclame vaille que vaille à travers les rues vides. Au cas où. « Je cherche un navire » dit-il. Il y a une proue à gueule de masque. Les bateaux c’est bien connu sont aussi vivants que toi et moi. Plus même. Celui-là, on lui compterait les arêtes à travers la coque. L’homme est bien habillé. Son col blanc tranche bien net sur le fond sombre de son costume. Il cherche de l’embauche, c’est sûr. Parmi les grues et les caisses en déchargement. Il dit pour se dédouaner : « J’irais bien faire mes pâques à New York. » Il y a des merlans qui sèchent comme du linge au bout de leurs épingles. Une sirène en suroît qui veille et deux dauphins collés au mur. Ou bien coincée la sirène entre deux rochers, face aux flots sur lesquels s’épanche sans fin l’écume d’amour. Des herbes encore, toujours aussi folles, entre les rochers hérissés, déchiquetés, en attente de quoi ? Que l’aube se lève, tiens ! Tout cela jusqu’au jour où. Vieille carcasse, toi aussi tu finiras bien par t’échouer, tes côtes laissant passer la lumière et les courants d’air sous le ciel qui revient. Le vent se lève. Salut, ô vieux capitaine. Il faut tenter de. Mais alors tout de suite. Qu’en penses-tu ? Il est grand temps d’écrire la légende en noir et en blanc.

Ce contenu a été publié dans éditoriaux. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.