L’Exode majuscule

Car ce n’est pas tout. Voici, de cagoule en cinquième colonne, les cortèges, la forêt des drapeaux, les ondulations de la foule de juin aux poings levés, soulevée par les vagues d’enthousiasme, Debout ! les damnés de la terre. Pain. Paix. Liberté. Faudra-t-il mourir pour Dantzig ? Vient la tripotée de Quarante et d’autres cortèges, misérables ceux-là, qui s’élancent sur les routes vers le sud, nos inouïs embouteillages de la débâcle, nos flux de fuyards hagards, sales, transpirant sous le soleil de mai, nos voitures surchargées de matelas, de morceaux de lits, d’ustensiles de cuisine, de valises et de paquets les plus hétéroclites, d’autres à vélo, certaines poussant devant elles des poussettes croulantes, en charrettes à chevaux, à bras, avançant roue dans roue, nos vieux et vieilles exténués, nos papas en bras de chemise, hargneux, nos femmes affolées, nos jeunes filles effarées, nos enfants apeurés, en pleurs, tous affamés, puants, ici ou là un uniforme débraillé dans le sauve-qui-peut, nous injuriant les uns les autres, terrorisés par les attaques des Stukas surgis du ciel le plus bleu, quand tout à coup son chuintement de vieillard s’écoule sur les ondes :

— C’est le cœur serré que je fais don de ma personne…

suivi de la réplique d’outre-Manche :

— La flamme de la résistance s’éteindra pas ! S’allume à Brazzaville !

et retour à la clairière de Rethondes où l’Hitler jouit d’une courte danse au pied du wagon, avant que nous n’entrions dans l’honneur, à Montoire, sur les voies de la collaboration toute pavée des chagrins et de la nouvelle pitié du royaume. Nous voilà, Maréchal ! Devant toi ! Vichy ! Sauveur ! Épée ! Bouclier ! Toujours ça ! Qu’auront pas ! Un vent printanier souffle sur l’étoile jaune, elle se tait, l’étoile jaune, du Vel d’Hiv à Drancy et au-delà. Travail. Famille. Patrie. Tout ce mal des fantômes qui n’en sont jamais revenus non plus. Ami, entends-tu ? Les murs ont des oreilles. Les lauriers sont cou-coupés. Entre ici ! Tous ces héros de la nuit faits pour défier le temps à la fin c’est le temps qui les défait. Oubliés, même à Grévin. Que vienne la libération d’Overlord au nom de soumission. J’écris ton nom. Et maintenant, place au chewing-gum ! Souviens-toi, c’est le colonel Salan qu’épingle la croix de guerre sur le torse du caporal Fanon. Si je mens je vais en enfer avec les tondues de l’épuration et les squelettes retour des camps, dans le salut de la croix de Lorraine.

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