Encore un effet papillon

L’histoire n’est pas un simple territoire épistémologique. Elle institue aussi un rapport au monde : celui de la modernité dont le Radeau de la Méduse figure un point d’ancrage mouvant. Légitimée par l’Archive avec un grand A, la mise en histoire du monde a absorbé dans sa vérité toutes les autres formes narratives. Elle les a repoussées sous l’espèce de fictions. Le discours historique s’est trouvé pris dans la fatalité d’unifier l’infinité des récits bigarrés qui lui préexistaient. Ainsi, du même geste qu’il sauvait de l’oubli, l’historien fixait par l’écriture le flux des images et des mots portés par le souffle. Comme la main saisissant le papillon en efface les merveilleux dessins colorés, le discours historique – et celui des sciences humaines à sa suite – a figé ce qui ne demandait qu’à s’évanouir dans l’air : les cérémonies, les danses, les rites, les guerres aussi, comme celle que menèrent autrefois les « fils du rêve ». Reste un peu de poudre sur les doigts. Qui se souvient des « fils du rêve » ? Google peut-être. Car maintenant que nous sommes tous unis, les anciens archaïques, primitifs, héroïques, hétérogènes, périphériques, épiques, mythiques, indigènes, légendaires, folkloriques, maintenant que nous sommes tous pris sous les ailes de l’histoire, il se pourrait que dix-mille récits de mémoire neufs viennent relancer le jeu du texte.

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