Refermant Les Frères Karamazov et ouvrant La Mort de Virgile de Hermann Broch, quelle est cette histoire de « rameau d’or » et de royauté sacrée — me demandai-je — qui court à travers les grammata et les images de l’humanité occidentale, depuis L’Énéide de Virgile jusqu’à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ? Au sixième chant, Énée entreprend la descente aux enfers pour retrouver Anchise son père. Les personnages de Dostoïevski traversent aussi la nuit à la recherche de leur père. […] et seul est digne d’être appelé du nom de Père celui qui a reçu la grâce de descendre dans l’abîme des ombres […]. La littérature est un océan sur lequel tu avances à bord de ta petite barque sans carte ni boussole, de vague en vague, phrase après phrase, d’îlot en îlot, la sybille au seuil de sa grotte jetant au vent, en transe, ses feuilles chargées de signes étranges, t’invitant à cueillir la fameuse branche. Énée la saisit sur-le-champ, l’arrache avidement malgré sa résistance, et la porte à la demeure de la prophétesse. Orphée n’est pas loin. T.S. Eliot non plus. Son copain Ezra Pound également. Une boule végétale qui luit doucement en haut du chêne. Au gui l’an neuf ! Au gui l’an neuf ! Un rameau qui ouvrirait quoi ? La connaissance : une fois j’ai vu de mes yeux vu la sybille de Cumes pendue dans une jarre et lorsque les garçons lui demandèrent :
— Sybille, que voulez-vous ?
Elle répondit :
— Je veux mourir.
Mais sait-on ce que c’est que lire ? N’importe quelle phrase ou mot ou signe venu à ta rencontre pour quelle révélation ? Que ton visage reflété dans la glace ne soit plus seulement ce trou qui rigole dans le noir ; que tes mains ne soient plus seulement ces merveilleux oiseaux absurdes qui s’agitent devant toi ; que ton sexe ne soit plus seulement cette divine plaisanterie entre tes jambes ; que ton nom enfin ne s’évanouisse pas dans la nuit entre destin et intestins, béants boyaux qui baillent aux étoiles car l’homme est bien ce tuyau mouillé à l’image du roseau traversé par un souffle :
— Et c’est cela que tu veux appeler le fondement de la connaissance ? C’est le fondement de la connaissance qui convient à un haruspice. Que caches tu, Virgile ?
Et quoi d’autre ? Qui donc a fondé Troie ? Les gamins des Frères Karamazov se posent la question comme un défi. Hermann Broch y répond. Ludwig Wittgenstein chercha lui aussi à faire sortir le Roi du Bois. Ses Remarques sur Le Rameau d’or de Frazer se terminent sur un corps rasé, celui de Smerdiakov je crois. Et il ajoute dans une lettre : « Je vais vous dire ce que c’est que la modernité : dans Les Frères Karamazov, le vieux père dit que les moines dans le monastère voisin croient que les démons ont des crocs pour tirer les gens en enfer. “Eh bien, dit le vieux père, je ne peux pas croire à ces crocs.” C’est le même genre d’erreur que commettent les modernes lorsqu’ils mésinterprètent la nature du symbolisme. » Comprenne qui pourra.
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