Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :
« Au même moment, dans le crachouillis des dialogues radios terminés par « roger » ou « over », une fusée au nom de dieu nordique, Thor, et de lettre grecque, Delta, s’élève de cap Canaveral dans le ciel de Californie. Après dix minutes de vol, elle largue sur une orbite moyenne et elliptique, entre cinq mille six cent trente-deux kilomètres d’apogée et neuf cent cinquante-deux kilomètres de périgée, un polyèdre blanc formé de soixante-douze facettes, mesurant quatre-vingt-huit centimètres de diamètre et pesant soixante-dix-sept kilos, la plupart des facettes étant occupées par de petits panneaux solaires d’un bleu irisé chargés de lui fournir son énergie électrique, tandis que la ceinture équatoriale se compose des soixante-douze éléments de l’antenne réceptrice ainsi que des quarante-huit éléments de l’antenne émettrice, ce satellite de télécommunication nommé Telstar 1 étant principalement équipé d’un tube à ondes progressives chargé d’amplifier les signaux reçus avant leur réémission. Les énormes antennes en aluminium et acier des deux stations terrestres principales, l’une située à Andover, dans le Maine, États-Unis, l’autre à Pleumeur-Bodou, dans les Côtes-du-Nord, France, cette dernière abritée sous une bulle géante blanche poussée sur la lande bretonne, pointent ce nouvel objet céleste. Lors de chacune des révolutions du satellite autour de la planète désormais réduite à la taille d’un village, au cours des vingt minutes durant lesquelles la communication peut être établie, de part et d’autre de l’océan les techniciens se livrent à des tests d’émission et de réception. Lors de la sixième orbite, des liaisons téléphoniques sont établies, des photographies ainsi que des programmes télévisuels sont échangés. Le lendemain, la première transmission de télévision en direct est réalisée. Devant les familles rassemblées dans leur living-room, leurs profils tous tournés dans la même direction, d’une rive l’autre de l’Atlantique arrivent sur les écrans bleuâtres, légèrement bombés, aux angles arrondis, les images et la voix du jeune président blond et dynamique, alors qu’il donne une conférence de presse et parle de la bombe, le drapeau américain faseyant dans le vent ; des fragments d’un match de base-ball à Chicago, durant lequel la foule des spectateurs massée dans les gradins est invitée à saluer les amis européens ; et dans l’autre sens, des monuments tels Big Ben, la tour Eiffel et la victoire de Samothrace dans sa niche géante, en haut de son escalier ; et aussi le charmeur national Yves Montand qui pousse la chansonnette en célébration de l’unification de la boule sous l’espèce de la première « mondo » ou « mondiovision » selon l’adaptation de la langue de Virgile au monde qui vient. »