Souvenons-nous de nos Russies intérieures

Et nous ? Souvenons-nous

Souvenons-nous de nos Russies intérieures
Qui braillent au brasier d’Isaïe
Et vrillent l’aorte au cœur des ingénieurs
Des âmes mortes qui baillent
Entre les doigts rouges qui passent et repassent
Les plats aux confins de la terre
Noire qui boit et reboit et cent fois harasse
Les vieilles voix nourricières

Le roman de la guerre et l’essai de la paix
Commencent à Gorioukhino ;
Où tète le malheur retètera le lait
Mélangé au poison des mots ;
Pain de la pénitence et sel du salut
Croisent bonheur avec horreur ;
Pleure le Dit d’Igor dans l’incendie perdu
Par Napoléon le sapeur

Sous la lune sale la houle des nuages
Feufolète un démon de sable
Qui grelotte aux lèvres dénuées de visage
Dieu est deux il est diable
Tinte et retinte la grêle du mensonge
L’icône s’inverse en carré
Noir du Christ mort d’Holbein sur fond noir où il plonge
Son œil de blatte encagée

Viens Ossip viens t’asseoir plus près du bruit du sang
Qui luit sur le fil de la hache ;
Dans un vol de copeaux de bois s’abat Satan
Sur la cerisaie qu’on arrache ;
Tocsine la cloche enchantée d’attendre
Que rechante la foi des ans ;
Un vieux croyant claudiquant croit même y entendre
Caracoler la fin du temps

La voile bordée d’oreille fine respire
Le son de la mer avinée
Car quand tu te cognes aux quatre coins de l’empire
Trois cerises d’honneur guerrier
Mordent la toile grise de la mort permise
Au goût de l’étoile si gaie
Qu’elle parle à l’étoile dans la folle méprise
De ce duel-là puis se tait

Nuits blanches de la mer longs jours noirs de l’hiver
Battent les nœuds de la Neva ;
L’Amirauté dore l’éternel en travers
Du droit mirage qu’elle déploie ;
Nécropolis des moineaux et des croix se voit
Déjà Byzance cannibale ;
Tous rêvent de Rome mais se terrent sans voix
Au balcon obsidional

Descendons d’un cran vers les cendres de décembre
Lovées à la crypte cruelle
Où des mouettes eucharistiques démembrent
Les corps et piquent les prunelles
Où le néo-despote aussi a six doigts
Hissés contre la prophétie :
Aux chiottes le dernier Tchétchène butteras
Mais tu crèveras d’asphyxie

Là où l’immensité affole les boussoles
L’est s’en retourne à l’ouest ;
Le vent enfourche la steppe avec les paroles
En longs versets de mille verstes ;
L’isba d’ici bas resserre la toison du ciel
À la Sibérie arrimée ;
De l’arche sur l’Ararat le chant maternel
Dans sa syrinx crie : li-ber-té !

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