Carte postale médiévale

Par où commencer ?

Salue d’abord ton vieux de la Chapelle-aux-Saints, l’ancestral Néandertal qui te fait face avec son crâne tout en orbites creuses pleines d’ironie, son regard au vide astral – vois-tu un peu de toi dedans ? Entouré de ses galets, de ses éclats et de la trace de ses doigts plaqués sur la paroi, il te sourit de sa mâchoire dégondée aux chicots rescapés, dans le silence d’une voix qui sourd au fond de toi.

Ensuite, le Vercingétorix : vois comme il saute sur sa meilleure cavale et dévale la colline vers le César, balançant à ses pieds son épée, son casque et son javelot, sans même desserrer les dents ni dire un mot.

Maintenant, Blandine, la blonde esclave, à l’heure où sous la corne elle s’effondre dans le rouge de son sang répandu sur le sable.

Déroule les vignettes colorées
qui remontent des temps enfuis
et salue le Clovis :

— Souviens-toi du vase de Soissons !

comme à Tolbiac il prononce le vœu,
puis descend dans la cuve
où Rémi le plonge,
une fois au nom du père,
deux fois au nom du fils,
trois fois au nom du saint Esprit,
tandis que descend dans l’air
la blanche colombe,
tenant en son bec
la sainte ampoule
à l’odeur mirifique.

Laisse couler dans tes feuilles les blazes râpeux des mérovingiens aux sonorités d’orfèvrerie barbare et de pierreries incrustées au pommeau de la grande épée franque : les Chilpéric, les Clotaire, le Gontran, le Gondovald, le Theudebert, les Dagobert, le Theuderic, le Caribert, etc., etc.

Dévide la blanche litanie des reines de France, les mères, les épouses et les sœurs, depuis Basine, la toute première sortie des brumes du grand récit, jusqu’à Marie-Antoinette, la dernière fleur qui fut cueillie au col : voici Clotilde la sainte, Radegonde qui luit dans la nuit des âges obscurs, Frédégonde la frénétique et Brunehaut l’increvable qui termina sa course, comme tu le sais en toi, traînée à la queue d’un cheval emballé, quelques autres perles sur le collier, Adélaïde, la femme à Hugues, Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille qui fit un saint de son fils, les Marguerite, les Isabelle, les Jeanne et les Marie, au milieu d’elles la petite bretonne Anne, tirée à hue et à dia dans la soudure des nations, la sombre Catherine dans l’horreur des guerres de religion, la Marie Stuart reine aussi des Scots et l’Anne d’Autriche qui donne le grand Louis à not’ pays.

Vois Charles le Martel qui par un brumeux samedi d’octobre arrête li païens kelpart entre Tours et Poictiers.

Plus loin, entends-tu bramer le chant rance du clairon de Roncevaux ?

Carle li reis, nostre emperes magnes à la barbe fleurie
Où es-t-il ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
Il est dans le ventre du cheval de bronze
là où se love la France dulce
dans l’égouttement de la cire à jamais perdue.

Et les hommes du nord remontent tous les fleuves aux flancs de la vieille Europe, à bord de leurs grandes barques à faible tirant, la proue ornée de l’effrayant dragon peinturluré, débarquant, pataugeant, escaladant les collines, attaquant les villages tels des loups, brûlant les maisons, s’emparant des vivres, emmenant des captifs, massacrant et violant au son du tocsin dans la lueur de l’incendie, pillant les abbayes, les reliques, jetant les vieux fragments d’os, de cheveux et de tissu sacrés, faisant sauter les pierres précieuses des décors cloisonnés au flanc des précieuses boîtes, emportant dans un tintement de métal les calices d’argent et les émaux arrachés aux reliures des antiphonaires, avant de disparaître comme le vent, laissant derrière eux la désolation toute nue et la frayeur de leur prochaine revenue.

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