Triptyque de la consolation – Scène 19/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation récemment paru :

Yasser Arafat à la tribune de l'ONU le 13 novembre 1974

… enroulé dans les plis de sa coiffure paysanne …

« Et d’un bout à l’autre, chiffons noirs et blancs au milieu de paysages montagneux, râpés, parsemés de buissons touffus et d’oliviers, de rares individus des deux sexes et de tous âges, enfants, vieillards, fuient en maigres colonnes. Ici ou là une carcasse de voiture effondrée sur le bord de la route, brûlée, quittée à la hâte, la portière ouverte, parfois surmontée de bagages eux aussi abandonnés. Des cohortes informes et clairsemées chargées d’énormes ballots, portant des bébés emmaillotés, poussent des ânes eux aussi surchargés, les enfants pieds nus, aux jambes maigres, traversant les paysages vallonnés et caillouteux, les mères soulevant avec des gestes antiques de volumineux paquets de literie au-dessus de leurs têtes, leurs ombres dures se découpant dans le soleil de printemps, s’enfuyant sur les routes mal goudronnées vers les camps de toile dressés ici ou là comme des assemblées de fantômes, faseyant dans le vent, à perte de vue, villes mouvantes des confins se rigidifiant en baraques de carton, plaques de tôle, murs de ciment. Apparaissent alors en bout de piste, gondolés par la chaleur et mangés par la poussière, des avions immobilisés en bordure du désert. Des ombres encagoulées porteuses d’armes menaçantes, qui gesticulent, vont et viennent au balcon de béton d’un village olympique. Dans le crépitement des flashs se lève le chef occulte qui se montre en se cachant derrière des lunettes noires, exhibant son inamovible sourire, mal rasé, perpétuellement enroulé dans les plis de sa coiffure paysanne, l’étoffe blanche dessinée d’un réseau noir qui enserre son visage d’un vague grillage, à la tribune, posant ses lunettes et parlant avec les mains, les bras, puis tout son corps, à la fin se levant, joignant les mains au-dessus de sa tête en signe de victoire et concluant :

لا تسقطوا الغصن الأخضر من يدي ―

Ensuite des groupes de gamins en jean et tee-shirt, eux aussi encagoulés dans leur keffieh, sortent de la terre ocre maintenant recouverte de barbelés et de murs de béton, gesticulent, crient contre les chars au loin, l’un des gosses s’avançant, se jetant en avant, sortant de sa poche l’une des quatre ou cinq pierres qu’il porte sur lui, bondissant face au blindé grillagé, le monstre de métal pivotant sur ses chenilles, pointant ses armes vers lui, mince assaillant qui fait tournoyer sa fronde. »

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