Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :
« Et tandis que la foule des Français musulmans ou FMA ou Arabes ou quoi, enfin métamorphosés en citoyens de la République algérienne démocratique et populaire, exulte dans l’ivresse du mot « indépendance », la liesse des youyous, des klaxons et des drapeaux verts, blancs et rouges, brandis par milliers contre le ciel d’été, les harkis sont arrosés d’essence, brûlés, mutilés, ébouillantés, enterrés vifs, éventrés, dépecés à la tenaille, énucléés, lapidés, émasculés, bras et jambes arrachés, écorchés en fines lanières et saupoudrés de sel. Dans Oran la radieuse où les cuves de la British Petroleum flambent sur le port, recouverte d’un voile noir, épais, gras, il est midi. Sur la place d’armes gardée par ses lions de bronze où convergent par le boulevard de Sébastopol et le boulevard Maréchal-Joffre les Algériens encadrés par l’armée de libération nationale, les auxiliaires temporaires occasionnels et les ralliés du dernier quart d’heure, des coups de feu claquent depuis les immeubles aux murs crépitants de chaleur. La fusillade éclate. La foule panique et s’éparpille. Au sol gisent quelques corps sous le couvercle du ciel où l’été grésille. C’est eux, désormais, c’est-à-dire la minorité européenne comme on dit, qui se trouve pourchassée, piégée comme les rats de la peste, tentant de s’enfuir sur la mer de marbre dressée telle un mur bleu entre ici et là-bas, chaque jour s’embarquant par milliers, maintenant abattus à la terrasse d’un café, dans leur appartement à la porte défoncée, lynchés rue d’Arzew, place Karguentah, boulevard de l’Industrie, ou bien poignardés ici ou là, au fond d’un fournil contre les sacs de farine, ou encore égorgés au premier étage de la poste principale, enlevés rue du lieutenant Dahan, devant le cinéma Rex, regroupés et conduits mains en l’air dans la chaleur qui plombe le ciel de juillet vers le commissariat central et le quartier de Petit-Lac, pour quelle fin ? »