Triptyque de la consolation – Scène 50/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :

Photo de l'auteur dans sa première année.

… et tout ce qui passe d’images flottantes …

« Puis ce sont de nouveau les vacances. Mais le goût de la première fois est déjà passé. Entre eux il y a maintenant l’enfant. L’échec au diplôme a mis son bémol. Le présent s’épanche désormais avec une pointe d’inquiétude vers l’avenir. Elle et moi nous nous baignons dans le soleil. Lui rejoint ses copains de la base nautique, emprunte un voilier et trace des cercles sur l’eau noire du lac. Alors qu’ils reviennent dans le petit appartement, il reçoit sa convocation pour l’armée.
Alors je fourre mon pouce dans ma bouche. C’est vite devenu une habitude. Le hasard se rétrécit déjà. Allongé dans mon lit à barreaux, face à la fenêtre peinte en blanc qui découpe un temple azur où jaillissent en oblique tantôt par la droite tantôt par la gauche les hirondelles de l’été, cent fois, mille fois, dix-mille fois je saisis et je lâche ma couverture bleu clair dont la bordure imite la soie. Elle vient. Elle va. Elle me sourit. Je lui souris. Elle me fait signe. Je lui fais signe. Et lui aussi. Sourires. Une vibration des lèvres. Mmm. Une bulle de salive. Puis un cliquetis. Brrr. Grimaces. J’aimerais bien voir mes lèvres qui bruissent. Et son visage quand je l’entends. Le plancher craque. Le moulin qui broie les grains de café. Je m’endors en agitant les mains. Mon visage fait quatre ou cinq mimiques. Peut-être six. Pas plus. Je m’exerce. Voici l’étonnement. La surprise. L’émerveillement. La joie. La douleur. Le dégoût. Ni jour ni nuit. Entre la bouche et le trou du cul. Et tout ce qui passe d’images flottantes devant moi. Sans nom. Apparitions. Disparitions. Appels. Cris. Pleurs. Succès. Échecs. Oui. Non. Exactement comme mon père le peintre je construis le monde à petites touches. Tendresse. Parfois à larges coups de brosse. Colère. Je recommence. Je rate mieux. Dedans. Dehors. J’organise les moyens et les fins. Ça réussit. Ça échoue. J’éprouve ma puissance. Ma faiblesse. C’était là. Ça ne l’est plus. Rendez-le-moi ! Ah ! Le voilà. Je vis en pleine magie. Elle se penche :

— Mon bébé !

Avant de mordre ouvrir la bouche. Bouche. Ça dessine un point. Bouche-sein. Ça trace une ligne. Bouche-sein-main. Ça délimite vaguement un plan. Je suis en pleine géométrie. Elle m’appelle. Je tourne la tête. Je la vois. Ça y est, ça commence. Il y a un avant. Un pendant. Un après. Il y a ce qui reste. Il y a ce qui change. C’est déjà la fin. »

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