Triptyque de la consolation – Scène 35/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation :

Kirk Douglas dans Le film Les Vikings

… alors elle édulcore son fantasme …

C’est alors qu’allongés sur leur lit, comme tous les futurs parents ils jouent à chercher un prénom. Ils s’affrontent en riant dans un tourbillon verbal où s’engouffrent les pères et mères, les grands-pères et grands-mères, les oncles et tantes, parrains, marraines et autres ancêtres, en s’agrippant aux branches des structures élémentaires de la parenté, convoquant aussi des modèles plus ou moins héroïques puisés à l’histoire, aux arts, aux sciences et aux lettres, toute une constellation de figures tutélaires et fantomatiques qui appellent à elles le nouveau-né. Mais qu’y a-t-il dans un prénom ? Adam. Ève. Des anges qui planent. Des déterminations funestes. Des influences bénéfiques. Quatre étés plus tôt, à Fort-la-Latte, département des Côtes-du-Nord, il a tourné en tant que figurant parmi les quelques centaines de guerriers hirsutes qui se lancent à l’assaut du château au-dessus de la mer, dans la production hollywoodienne Les Vikings. Comme s’il voulait embarquer son enfant à naître sur la légende grandiloquente d’un destin de tragédie fait de viols, de rivalités fratricides, de haines fatales et de vengeances inextinguibles sur fond de crépuscule des dieux, du nom d’un roi dont l’histoire fut transcrite par le poète à partir de scènes gravées sur un bouclier, tout-à-coup il plaisante :

— Ce sera un garçon, nous l’appellerons Ragnar !

Le prénom aussi est un bouclier. Alors, elle édulcore son fantasme en substituant deux autres syllabes, Arnauld, avec un « l » par distinction, déjà suffisamment nordique comme ça par son aigle totémique et sa vertu étymologique. Et si c’est une fille ?

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