Triptyque de la consolation – Scène 27/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation récemment paru :

Photo d'un menhir sur la lande bretonne

… à la recherche de menhirs …

« Au même moment, comme de jeunes dieux insouciants du procès, des événements d’Algérie et des vols dans l’espace, ils, c’est-à-dire les jeunes mariés, réfugient leur amour sur le lac pour une lune de miel faite de balades à pied – escaladant les pentes pour jouir depuis un rocher de schiste bleu turquoise, hérissé de pins, du point de vue plongeant sur la surface liquide bleue azur bordée de chênes et de hêtres, paysage doucement funèbre malgré le clair ciel d’été pommelé de nuages, qui se reflète sur l’eau, goûtant le silence balayé d’un vent léger, au milieu de la nature aussi resplendissante qu’eux – en bateau qu’ils empruntent au centre SNCF de Guerlédan, à Beau-Rivage, se laissant dériver sur leur Vaurien à fleur de l’eau noire, opaque, recelant dans ses profondeurs les secrets de villages d’Ys modernes engloutis – plus loin à vélo à la recherche de menhirs dont les énigmes archéologiques ouvrent sur d’autres dimensions que les loisirs populaires d’une base nautique aménagée en lisière d’un barrage hydroélectrique, puis quand le jour s’atténue vers la nuit en rougeoyant ils rentrent coucher à la petite maison, chez ses grands-parents à elle. Parfois, ils retournent le soir à Beau-Rivage prendre un verre avec les copains. Car c’est aussi le temps des copains. Le matin, il moud le café en écrasant les grains sous les tours de manivelle, lui apporte un bol de lait frais et la journée recommence, radieuse, se nourrissant l’un de l’autre, sans fin. Souvent, ils s’écartent du chemin, laissent tomber leurs vélos, abordent la rive, amarrent le voilier à une grosse pierre grise et glissent sous les hautes fougères, regardant le ciel à travers l’émeraude de leurs longues feuilles courbes, comme si la Terre s’était renversée d’un coup, isolés sous ce vitrail vert et bleuté qui leur fait une cabane translucide, dans la chaleur de l’été et les bruissements des insectes, elle s’ouvre à lui et lui la pénètre lentement, largement, longtemps, au plus profond du tendre.
C’est alors qu’il explose en elle et que deux cents millions s’élancent pour un voyage au long cours d’une quinzaine de centimètres, jusqu’à cette ampoule tout au fond de l’une des deux trompes. Laquelle ? La gauche ? La droite ? Pas se tromper. C’est là qu’elle attend, venue à son heure, là pour ça, en suspens, la bille ambrée. Pour l’instant mêlé à quelques centaines de rescapés, le seul, l’unique franchit la première cavité voûtée où des millions sont déjà tombés, rongés d’acide. La troupe envahissante a désormais passé le col dont le mucus s’est distendu à son approche, et même liquéfié, élargissant la voie, ouvrant de véritables canaux, retenant dans ses rets les déficients, les atypiques, les suspects d’entre les spermatozoïdes qui se glissent ensuite le long de la paroi pour une escalade aventureuse, marquant parfois une pause, des groupes entiers s’arrêtant pour s’abriter dans les cryptes encaissées de la muqueuse. Puis, conduits par une tactique indiscernable, ils reprennent leur ascension jusqu’à atteindre l’entrée du goulot qui mène à la sacro-sainte ampoule. Le lieu de rendez-vous. Faites vos jeux. Combien se sont perdus en route ? Tous hyperactifs, désordonnés, avançant en balayant follement la tête d’un côté, de l’autre, fouettant ce milieu alcalin de leur fine queue jusqu’à se placer à l’entrée du tube, en embuscade, attendant que l’ovule jaillisse de son follicule. Rien ne va plus. Alors, tous l’assaillent par vagues déferlantes, attaquant la pellicule protectrice dont la bulle ovulaire s’est vêtue en érodant sa surface par des jets d’enzymes, la forant pour percer son chemin vers son enveloppe. Un simple coup de dés qui mène, dans l’ivresse, du destin à la statistique. C’est à cet instant qu’il vainc, le seul, l’unique, l’élu, perdant sa coiffe qui se désagrège et s’éparpille en lambeaux, en même temps que sa tête où est enfermé le précieux message pénètre à grands coups dans la zone dite pellucide, suivie de son flagelle qui bat furieusement – tout cela non dénué de vis comica – cherchant à forcer l’entrée de la boule jaune, effleurant la membrane et s’y arrimant d’un coup. C’est maintenant elle, la boule, qui l’aspire et se referme en absorbant le précieux contenu tandis que lui s’accroche à l’intérieur, les deux se fondant l’un dans l’autre et rejouant à l’échelle cellulaire l’éternel et toujours unique ballet du coït. Aussitôt, la surface de l’ovule se durcit et rejette de sa cuirasse les prétendants malheureux qui disparaissent dans l’abîme. »

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