Triptyque de la consolation – Scène 21/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation récemment paru :

Jean-Paul II entrant au camp d'Auschwitz

… il franchit à pied le portail grillagé …

« Et c’est une bande de laine flottant dans l’air. Pure. Immaculée. Blanche. Terminée par une frange de fils d’or qui eux aussi se soulèvent, s’entrecroisent, retombent. Tout en blanc, il vient entre les hautes colonnes de pierre du vieux palais, au-dessus de la foule déjà là, adorante, il scintille dans le soleil à la petite fenêtre perdue au milieu de la muraille. Il s’avance, il lève la main et balance au-dessus de sa tête coiffée de la mitre dressée vers le ciel, son long bâton de berger à crosse de métal sculptée à l’image du crucifié. Depuis les profondeurs de son immense trône, il les bénit tous. Puis, d’abord doucement, presque murmurant et à la fin appuyant chaque syllabe, il s’écrie :

― Non abbiate paura !

La robe blanche descendant d’avion, s’agenouillant, embrassant le sol, les enfants chargés de fleurs, l’image de la mère dans des lâchers de colombes, dessinant inlassablement le signe sur les fronts, les foules accourant, émues, pressées, s’étendant au-dessous de lui à l’infini et lui faisant le signe au-dessus d’elles. Ici il embrasse l’ouvrier moustachu avec un badge à l’effigie de la mère agrafée sur son pull. Grave, le regard baissé, entouré d’autres robes, noires celles-là, portant des croix pectorales claires, il franchit à pied le portail grillagé au-dessus duquel ondulent les mots MACHT FREI. Derrière les fils barbelés tenus par des poteaux de briques maçonnées, s’appuyant sur sa crosse, il fend la foule qui s’étend en myriades de grains colorés vibrant dans le soleil sous l’emblème aux deux clés. Il embrasse le chef au keffieh. Sous l’immense effigie en fer forgé du jeune héros au béret étoilé, il serre les mains du chef à la barbe broussailleuse. Il s’approche des micros, se recule, monte dans sa voiture bientôt recouverte d’une vitre, embrasse encore des enfants, prie au pied de la mère, fendant les foules sous le soleil, sous la pluie, les bénissant inlassablement, embrassant de son visage rond et rose une fillette blonde et bouclée qui tient à la main un ballon bleu parmi les appareils photo tenus à bout de bras. Il s’écroule à l’intérieur de sa voiture qui part en trombe, environnée de gardes qui courent au milieu des pèlerins frappés de stupeur et des pigeons qui s’envolent. Dans un local sommaire, aux murs blancs, assis sur une chaise rudimentaire, il fait face à un garçon en pull bleu clair, assis lui aussi, sombre, mal rasé, souriant pourtant, il se penche sur lui, prend ses mains et l’enveloppe de son pardon. Il s’avance vers le mur aux larges pierres, prie, glisse son message entre deux énormes blocs et fait le signe. »

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