Triptyque de la consolation – Scène 11/62

Chaque quinzaine, un nouvel extrait de Triptyque de la consolation qui vient de paraître :

Mao Zedong annonce la création de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949.

La Chine est debout !

« Et derrière une rangée de microphones, deux mains déjà âgées, légèrement potelées, tiennent une feuille de papier aux lignes d’écriture verticales et sortent de deux manches de grosse toile tandis que plus haut, au-dessus d’une vareuse militaire aux poches à soufflet, col montant serré, boutonné, se gonfle la boule pâle de son visage impassible, empâté, cheveux noirs en arrière, sourcils froncés, yeux bridés creusés de poches, un grain de beauté sur le renflement du menton, sa petite bouche féminine s’ouvrant pour proclamer :

― 中 国 人 民 站 起 来 了

Puis, encadré de deux sentences en caractères blancs sur fond rouge, son visage peint, lisse et souriant, pile au centre de la gigantesque porte elle aussi rouge, suivi de l’explosion en couleur de ce même visage souriant, ramené à quelques traits charbonneux, ses cheveux noirs formant une sorte de double coque, le grain de beauté, la petite bouche maintenant maquillée pris dans les aplats jaune d’or, rose vif, vert tendre, bleu pâle ou foncé, violets, fuchsia, rouges, dans le voisinage de l’actrice blonde, de l’épouse du président assassiné et de l’automobile accidentée du jeune acteur. Jusqu’à cette colonne de chars qui s’avance sur l’asphalte gris clair, strié par les bandes blanches des couloirs de circulation qui encadrent des flèches de direction et ponctué de passages piétonniers, en haut une bordure végétale, en bas les globes blancs d’un lampadaire vaguement art nouveau, incongru. Un autobus incendié gît là, blanc et rouille, affaissé sur ses roues sans pneus. Soudain, minuscule dans cette immensité urbaine déserte, il jaillit. De dos, la boule de ses cheveux noirs, la tache de sa chemise blanche, les deux bâtons en v inversé de son pantalon noir dessinent une fourche contre le gris de la route, deux sacs plastiques renflés au bout de chaque bras, parfaitement droit, il se plante face au char qui s’immobilise. D’un moulinet du bras amplifié par le sac, il intime à l’énorme masse métallique verte, frappée de l’étoile rouge, de faire demi-tour. Le char qui suit s’immobilise à son tour, puis le troisième. Suspens. Le premier char esquisse un mouvement de contournement vers la droite. Par une série de pas chassés sur la gauche, agitant de nouveau le sac, le piéton se replace aussitôt dans sa trajectoire, lui intimant de nouveau l’ordre de reculer. Le char pivote alors en sens inverse, vers la gauche. Il est aussitôt suivi par le piéton. Une fois, deux fois. Puis la colonne et le piéton s’immobilisent de nouveau face à face. Alors il grimpe sur le char, se penche à un hublot, cherche un interlocuteur, escalade la tourelle, se penche de nouveau, en vain. Il redescend sur la chaussée. Le char tente de se dégager par une brusque accélération, crachant un jet de fumée blanche. L’individu esquisse aussitôt un mouvement de course et se retourne dans une nouvelle série de pas chassés pour faire face à son adversaire. »

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