Chez le bouquiniste, je tombe sur L’Aveu d’Artur London qui réveille une vieille interrogation : que devait à la confession chrétienne la tradition des « aveux » entés sur les récits de vie lors des procès en milieu communiste ? Simple question d’approche. Pas même une problématique. Car toutes ces confessions et ces aveux se résolvent en textes. À commencer par saint Augustin dont le récit de vie, lui-même jalonné de textes, demeure avant tout comme livre. Sauf dans le lien poétique, la vérité ne se suffit pas de son simple énoncé. Quelle qu’en soit la procédure, de la confession dite auriculaire aux tortures de l’Inquisition, ou dans les geôles communistes, elle ne peut advenir qu’en un récit construit par l’écrit à coup de mots. Pourquoi les prisonniers de Tuol Sleng S-21 à Phnom Penh avaient-ils à raconter, stylo bille en main, sur des cahiers d’écolier quadrillés de bleu pâle, leurs existences de traitres ? À écrire et à réécrire jusqu’à ce que le récit soit conforme à la « vérité » ? À Moscou, en 1936, l’agent du Komintern Wagner perd son emploi. Dans la biographie qu’il vient d’écrire – la dixième en quelques années – il s’est contredit sur un infime point de détail. Et pour ce qui est d’Artur London lui-même : « Là, deux semaines durant, jour après jour, vingt heures d’affilée, je devrai raconter ma vie, de mon enfance à ce 28 janvier 1951 où deux voitures m’ont bloqué et où j’ai été kidnappé dans la rue, en plein Prague. » Comment la dépersonnalisation opère-t-elle dans le récit de vie ? Par l’écriture et la réécriture jusqu’au terme du procès : « Jamais je n’aurais pu imaginer que, si longtemps, avec tant de méticulosité, quelqu’un pourrait se livrer à un tel travail de fourmi sur des formulations. Kohoutek retape le texte à la machine, fragment par fragment, m’extorquant à chaque nouvelle mouture ma signature. De retouche en retouche, d’extrait en extrait, de formulation en formulation, le sens s’éloigne de plus en plus de l’original, tout en conservant avec lui un air de famille. Mais cela m’échappe. Tout ce travail a pour but, sans doute, de faire que cela m’échappe, que les mots cessent de m’appartenir, que la description de mes actes, la définition de mes pensées deviennent peu à peu extérieures à moi. » Et cette remarque littéraire : « Entre eux, nos référents se vantent de leurs formulations avec autant de gloriole que les mauvais poètes. » Et voici qu’affleure la proximité avec l’autre confession, la chrétienne : « […] il raconte sa vie comme un croyant à son confesseur […]. » Sans l’horizon messianique de la promesse, son dévoiement dans l’utopie communiste, pas de confession. Car ces récits de vie dessinent une attente. Celle du jugement. Voire du Jugement dernier qui sait ? À suivre.
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