Je me souviens de ce nom de pays à la recherche du temps perdu, Questembert, le ruisseau en contrebas, le collège, la fougère, l’ennui, le prof de sport, monsieur Jezebel il s’appelait, son bouc en pointe couleur chat de bois, ses joues déjà couperosées, son pantalon de survêtement bleu foncé en fuseau, son pull à col roulé de laine chinée, bleu-vert et blanc, tricotée à la main par sa femme qui faisait aussi l’anglais, son corps athlétique dessinait au gré de ses mouvements gymniques, entre le gris fer du ciel et le noir bitume de la piste, des x, des y et même des z parfaits, après quoi il allait tuer la discorde conjugale et le mal de la terre à coup de galopins, au café Chez Crespelle où il se tenait face au bar derrière la vitre, un nom de pays donc, retrouvé plus tard avec l’incongruité d’un miracle, au détour de l’une des trois mille pages du dandy de Balbec, qu’il aurait pu faire sonner au biniou plutôt qu’en éparpiller les naïves syllabes jaunâtres sur la poussière du chemin tout en ricanant, et dont l’origine, ainsi que nous l’expliquait monsieur Brichozeg, le prof d’allemand qui faisait aussi breton en option libre, venait de « kisten » ou « kistin » – la châtaigne – et de « perz » ou « perh » qui pouvait désigner le lieu, décelant peut-être une filiation germanique à travers le mot « Berg », « Kastanienberg », le « mont des châtaignes », nous égayant au passage à l’évocation de la méridionale « castagne », après quoi il nous faisait chanter, nos jeunes cœurs se gonflant alors d’un entrain quasi-patriotique :
Tri martolod yaouank… ha lon la ha digetra
Tri martolod yaouank o voned da veajiñ…
tant il est vrai que ce nom de Questembert laisse derrière lui une traînée de plumes blanches et de becs jaunes le long de la route qui mène vers ces côtes funèbres, fameuses par tant de naufrages, qu’enveloppent six mois de l’année le linceul des brumes et l’écume des vagues, soumises à la sauvage loi des tempêtes, où les ramasseurs de varech de la fin des terres, la belle saison venue, regagnaient à bord de leurs frêles barques poussées par leurs voiles de sang, croyant parfois entendre des cloches sous les eaux, les îlots de Bannec et Bannalec, leurs fours soulevant une fumée blanche, légèrement soufrée, visible par beau temps depuis Ouessant, l’île exactement située à l’ouest de la géographie, et plus tard nous passâmes la nuit chez madame Le Coz, à l’hôtel de l’Iroise, où les draps séchaient au vent, accrochés aux piquants lumineux des ajoncs, trempant au matin nos tartines beurrées dans le café au lait, laissant loin derrière nous la bourgade du bocage qui rimait avec Cambremer, sa petite gare toujours déserte, avec ses voies de garage d’où ne semblaient jamais partir des trains de wagons peints d’un triskèle jaune vif, posés là sous les silos d’aliment pour bétail, avec sa voie ferrée qui s’en allait dans l’autre sens, loin vers l’est cette fois, en égrenant d’autres sonorités grasses, fruitées, sucrées : Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, et combien d’autres, qui menaient quant à elles vers un pays sans nom.