« Je hais le mouvement qui déplace les lignes »

Un bon auteur est donc un auteur mort. Le Château était fait pour être écrit. Pas pour être lu. Pourquoi Franz Kafka n’a-t-il pas détruit lui-même ses oeuvres ? Pour les sauver. À la Public Library de New York, à la fin des années quarante, Jack Kerouac consulte des atlas. Son index pointe la baie de Daoulas. Puis il repart dans la nuit, suçotant une bouteille vers Washington Square en rêvant : Duluoz… Duluoz… Tous les poissons de la mer parlent breton. Et bientôt il a écrit une dizaine de romans qui ne se publient pas. Et William Faulkner se demandait quel monstre pouvait bien être Le Bruit et la fureur, ce tas d’encre et de papier qui lui sortait des doigts et du cerveau. Et Robert Musil, alors ? James Joyce bien sûr. Même Claude Simon ! Et Proust ! Et Céline ! Rimbaud itou. Tous morts à un moment ou à un autre. Voilà l’histoire. Dante, déjà : traversée du souterrain obligatoire. L’Énéide : idem. Chapitre X de l’Odyssée. Ulysse fait le voyage d’en bas. Homère avec lui. Pourquoi Walter Benjamin est-il un si bon philosophe ? Parce qu’il n’arrivait pas chaque matin à l’université, un petit déjeuner payé par l’État au fond de son estomac, posant sa serviette de cuir sur le bureau et disant du fond de l’amphithéâtre : Reprenons ! Non, assurément, un bon auteur est un auteur mort. C’est un fait.

Ce contenu a été publié dans éditoriaux. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.