L’enfant et la mer – épisode 7 « Souvenons-nous des flottilles de sac et de corde »

Souvenons-nous des flottilles de sac et de corde qui sur la mer allaient. It’s time for us to go ! Sur sa vaste poitrine étaient tatoués un voilier qui appareille, un canot sur la grève, une fille et un matelot enlacés, en dessous figuraient ses initiales et sur ses bras ondulaient un d’un côté un crucifix, de l’autre une ancre. C’est l’heure du départ. Tel le paysan sur la plaine de Béotie redressait la tête pour voir passer dans le bleu du ciel, très haut, le ventre du char d’Apollon, les amples courbes pommelées des six chevaux, ses fanions qui claquaient, crinières au vent, les éclats lumineux percutant les essieux de métal, voici ton père qui gît par six brasses de fond, ses yeux emperlés de corail, astronaute englouti entre deux rochers verdâtres, un smiley jaune cousu sur l’épaule de sa combinaison immaculée. Il voit passer au-dessus de lui, à la surface de l’onde, la panse brillante de l’Argo qui file à force de rames, altière, héroïque, hollywoodienne. Chaque soir le char d’Apollon amorçait sa descente vers la grotte de Thétis où la divinité sortie de la mer attendait le dieu solaire fourbu et desséché pour l’entourer, avec ses naïades en porcelaine blanche et visqueuse, de soins joyeux, humides et réparateurs. À Pâques, c’est sur le dos de la baleine, noir et luisant, que nous communierons. Et tu ne te feras pas de tatouages, c’est écrit dans le livre. De la langue d’Ys au trou à Yvonne, les doigts, les doigts des hommes vont toujours au-devant d’eux, dans l’air puis sous l’eau, puis de nouveau dans l’air, puis de nouveau sous l’eau, torant-détorant, épissant, navettes, filins, garcettes, rabans, conduisant l’aiguille, perçant le cuir dans le tangage, ébreuillant la morue, sur leurs deux jambes couvertes de toile bleue, leur sang rouge jamais loin, pas comme leurs femmes restées là-bas contre le mur, les hommes cinq mois durant balayés au chalut de baille ourlée. Sans parler des mousses du Gulf Stream, là ousque les gosses triment. Comment s’appelait déjà ce poisson long et maigre à bec pointu ? Orphie. Comme le poète qui leur tenait lieu de chef de nage ? Était-ce le vent ? Était-ce le vin ? À force de rabouiller dans la boucaille, tous ces amers me donnaient le mal de mer. Un coup sur not’ hanche de bâbord, un coup sur not’ hanche de tribord, nous fîmes de l’ouest dans la tristesse du Hollandais volant, nous avançâmes sur la mer vineuse et l’incarnat marin en quête d’un dieu tragique, ouvrant les entrailles des sardines et nous souvenant des flottilles vagabondes qui sur la mer allaient, entre le ressac et la miséricorde. Moyens du bord. Il y a bien une île où atterrir. Quels cantos leur chantait-il pour les détourner du charme des sirènes cachées dans les anfractuosités ? Gaffe à la barre, te voici, fol dinghy en perdition. Ô ! se tenir là, debout, en équilibre, funambule droit devant, à la proue, à la poupe, là où bave dans le roulis ton triste cœur. Souviens-toi du poème de tes quinze ans. Haut ton cœur ! Que ta quille éclate ! Sursum corda ! Jamais çui là qu’est né pour êt’ pendu périra noyé. Sursum ! Corda !

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