L’enfant et la mer – épisode 3

Je me souviens aussi des trois couronnes du matelot, ô vous qui naviguez dans le sillage de mon rafiot sous la nuit des longs courriers, l’oreille tendue vers mon chant, mollement balancé dans mon hamac j’écoute la lame qui caresse le flanc du vaisseau, floc, floc, do do l’enfant do, dans la lourde cadence de la houle, creusons notre sillon dans le lait du ciel, barcasse, pointu, pinasse, suivez-moi sur des eaux nouvelles et barattons ferme afin de faire enfin éclore des êtres vêtus de neuf, chevauchant le dos du monde faisons bonne route, vers quelle blonde toison ? Fifteen men on the dead’s man chest – yo-ho-ho, and a bottle of rum ! Sur la baie, loup de mer émerveillé j’allais à bord de mon coracle tourné vers l’avant et gréé en corbière, le Yorrike qu’il s’appelait, me disant en moi-même :

— Cette eau que tu vois est une solution complexe dans laquelle on trouve, au moins à l’état de traces, tous les éléments chimiques connus.

Va plus loin. Vivre n’est pas nécessaire. Combien de fois ai-je fait la traversée ? Quand j’en ai eu ma claque de courir après les intersignes à la poursuite des reflets laissés par des spectres encore plus pâles qu’un cierge de cire, lançant par-dessus les flots :

— Do you read me ?

je me suis retiré à la côte les yeux fixés au large et les cheveux au vent, j’erre désormais côté terre, longeant le chemin des douaniers, de mes grandes mains je palpe l’air, j’essuie les nuages à grands coups de faubert, avec l’hébétude des vieux marins à la tête pleine de flotte je me demande comment devenir un océan. Trois, même. Sans compter l’arctique et l’antarctique. Toujours cette barre droit devant. L’Armen continue de cligner de l’œil à travers le brouillard, sa chambre de veille vide. Où sont donc nos navires ? C’est écrit : « Without are dogs and murderers. There is a breeze coming, Jim. » Les bateaux, c’est connu, sont aussi vivants que toi et moi. Plus même. Celui-là, on lui compterait les arêtes à travers la coque :

— Vous cherchez de l’embauche ?

— J’irais bien faire mes pâques à New York, dis-je pour me dédouaner, s’ils me laissent passer à Ellis Island.

Parmi les grues et les caisses en déchargement je m’avance. Il y a des merlans qui sèchent comme du linge au bout de leurs épingles. Stella Maris priez pour nous. Des herbes toujours aussi folles s’agitent entre deux rochers. Que l’aube se lève plus loin que l’exil ! Que je m’enfonce sur la mer d’asile ! Jusqu’à ce jour où vieille carcasse amarrée à ton corps mort, tu finiras par t’échouer sous un vol de cormorans, tout en bas de la rue Pierre Loti, tes côtes laissant passer la lumière et les courants d’air. Il est temps, le vent se lève !… ô vieux capitaine, il faut tenter de vivre !

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