C’est une esquisse pour un musée mondial des civilisations. Depuis l’aube révolutionnaire à l’émergence des nations post-coloniales en passant par le printemps des peuples, le musée moderne est une institution constitutive de l’État-nation. Pas de nation sans trésor d’objets précieux venus des temps d’avant et souvent arrachés aux peuples autres. Le British Museum, le Louvre, le Pergamon Museum, le Metropolitan Museum sont d’immenses dépôts d’œuvres venues de l’humanité passée et souvent des peuples nouvellement annexés à cette humanité. La communauté des vivants y célèbre les liens avec ceux qui l’ont précédée. Culte des morts. Des ancêtres. De quels morts ? De quels ancêtres ? Par quels héritiers ? Si patrimoine mondial il y a, sur quelle humanité se fonde-t-il ? Est-elle, cette humanité, en quête d’un culte des ancêtres universel ? Si une communauté cosmopolitique doit s’inventer pour répondre à l’ascendant pris par les marchés financiers sur les États nationaux, aux désordres écologiques et aux risques technologiques majeurs, aux questions énergétiques, aux problèmes de répartition des richesses et au maintien global de la paix, alors, sous peine de n’être que l’agrégat autorégulé du cheptel humain, elle devra nécessairement s’enter sur une mémoire partagée. Quel conservatoire d’un genre inédit le réalisera ? La préfiguration de cet ordre mondial nouveau pourrait commencer par ce musée-là : un monument déterritorialisé et vraisemblablement proche du ciel, où les nations livreraient dans un geste sacrificiel, à l’humanité enfin constituée, leurs anciens trésors, en commençant, pourquoi pas, par ces œuvres glanées au fil des conquêtes : frises du Parthénon, statues des rois du Bénin, porte d’Ishtar de Babylone et autres objets candidats aux restitutions. Une utopie culturelle sans laquelle le sceau politique d’un partage des droits fondamentaux se verrait dénué de tout pouvoir indicateur d’un futur à inventer.
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