Tranquillisez-vous, il n’en a plus pour bien longtemps votre vieux langage, votre vieux ramage, enfin débarrassés du verbe vous laisserez derrière vous, dans un mince sillage, votre vieille peau d’homme, votre pelure, pour que droit devant, lumineux, sans tambour ni trompette, le clair avenir vous tende ses bras de cristal dans un silence de glace. Écoutez : « Reviens, reviens Désiré, Sébastien, vieux roi ou empereur, tous les Arthur, les cachés, les enfouis sous les Kyfferberg, reviens, il y a toujours une mer à l’ouest, un océan ourlé de blanc, longeant les rivages évanouis, avec une île fortunée à découvrir fichée dedans, car si le vent souffle et t’emporte, comment ne pas partir, fût-ce pour l’outre-monde ? Poussés par la voix et par la croix, à bord régnait le génie du rangement, une place pour chaque chose, chaque chose à sa place, alors que de ce côté-ci on ne comptait encore que deux ou trois continents. Le 18 décembre 1961, l’aviso Alfonso de Albuquerque tente de défendre ce qui reste de Goa. Le 25 juin de l’autre année naît le Frelimo, etc. etc. Les bateaux en ruines étendent leurs carcasses entre vase et ciel, ce ciel qui a résisté au tremblement de la terre, ce ciel désormais sillonné par les 707, les 747 qui avancent lentement, dans un bruit de phasing, comme autrefois les caravelles aux gréements en toiles d’araignées, leurs voiles frappées du signe sanglant, que le Tage crachait comme des nouveaux-nés hors de leur matrice ou des noyaux d’olive dans le caniveau. De nom en nom, tellement considérables qu’ils ne sont plus constitués de simples lettres mais d’anneaux de feu, Diogo Cão, Bartolomeu Dias, Pedro Álvares Cabral, Francisco de Almeida, Vasco da Gama, Fernão Mendes Pinto, etc. etc., venant frapper du ressac de leur gloire, le grand Luís Vaz de Camões te faisant de l’œil, ou bien Fernando António Nogueira Pessoa derrière ses lunettes, parviendrai-je moi aussi à pondre un mégalo-poème aux ailes d’or, avec un glaive cruciforme planté dans l’azur ? Le temps assurément est une lèpre qui te ronge le nez, l’heure a bien sonné, il va falloir en finir une bonne fois, s’engloutir dans le bleu outremer, s’enfoncer vers l’Atlantide dans un doux délire compensatoire au pied du Christ Roi et de la Banque du Saint-Esprit. Comment va la splendeur du Portugal, ce matin ? Tu peux toujours attendre, ce qui une fois s’est accompli ne s’accomplira pas deux fois. Le fruit des entrailles des sardines aussi est béni. Malgré tous tes efforts pour unifier la boule, ton visage pâli ne reviendra pas dans le brouillard. Les anges cependant continuent de virevolter autour de la sphère armillaire. Je me demande quand les fous du fado de l’Alfama troqueront enfin le principe espérance contre le Carpe Diem ? »
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