L’Europe qui vient – Le congrès Solvay de 1927

Cela faisait un moment que le reste de café avait séché dans la tasse. Il s’était coagulé et des dentelures de mousse claires s’agrippaient au bord, à la manière d’un paysage chinois montagne et eau. Au fond, des petites parcelles noirâtres et brunâtres s’écaillaient en formant des stries vermiculées qui s’étendaient en vagues ondulantes d’un côté et s’éparpillaient de l’autre en un bombardement de grains contre l’écran de la faïence blanche, se combinant en une sorte d’idéogramme double appelant un déchiffrement, pour y lire quoi ? Notre avenir entre l’inspiration tremblante des songes et la claire raison des signes. Je relevai la tête. La terrasse du Métro était maintenant clairsemée. Beaucoup de clients étaient partis. En cette fin de juillet, Paris respirait. Je repoussai la tasse et la revue sur la table et appelai d’un signe de la main le garçon qui allait et venait, commandai une omelette et une salade :

— Et comme boisson ? demanda-t-il.

— Une limonade, répondis-je.

Et les mots « limonade à Daumesnil » pétillèrent dans l’après-midi. La fontaine pâlissait. Entre les passages des voitures j’entendais l’eau dégouliner. Les huit lions de bronze docilement assis en cercle et raides sur leur derrière s’effaçaient dans la lumière zénithale. Un vestige de l’époque où les villes du continent se couvraient de somptueux monuments de pierre et fer, en célébration des réussites scientifiques, industrielles, commerciales et artistiques, grâce aux richesses qui affluaient des quatre coins de la terre dans le ventre des navires pour nourrir les nations à l’heure impériale. Un sommet en avait été atteint à Bruxelles, jeune capitale florissante surplombée par son colossal palais de justice dont la coupole couronnait le paysage telle une tour d’Angkor Vat hors de toute mesure, étendant l’emprise de sa montagne de pierre sur un dédale étagé de galeries, de couloirs, d’escaliers qui ne menaient nulle part, de vastes salles aux parois de marbre inutiles, un immense labyrinthe qui abritait dans ses sous-sols un sombre secret dont le sésame se prononçait « Congo » : entre philanthropie et travail forcé, toujours plus de tonnes d’ivoire et de caoutchouc entassées dans ses caves sur la voie du progrès, au moyen de la chicotte, des prises en otage de villages entiers, hommes, femmes, enfants, des récoltes de mains coupées, la mort et le désespoir. L’horreur ! L’horreur ! C’est là, à Bruxelles, que cet esprit d’entreprise, de soif de connaître et cette foi dans le futur avaient conduit les frères Ernest et Alfred Solvay, deux chimistes qui avaient mis au point dans les années 1860 la synthèse du carbonate de sodium avant de constituer un empire industriel, lequel produisait en 1900 quatre-vingt-dix pour cent de la soude mondiale ; c’est là, à Bruxelles, qu’Ernest Solvay, le capitaliste visionnaire, productiviste et promoteur d’amélioration sociale par l’instruction et la sécurité des ouvriers, avait institué les « congrès Solvay » afin de faire avancer la science, comme on disait alors, en réunissant tous les trois ans, à partir de 1911, les physiciens et chimistes les plus éminents autour des grandes questions d’actualité de la recherche. Cette année 1927, entre le lundi 24 et le vendredi 29 octobre, à l’Institut de physiologie, dans le parc Léopold, un domaine verdoyant parsemé de bâtiments d’un style éclectique raffiné, dus aux meilleurs architectes de la brillante école belge, dédiés aux sciences et à l’éducation – en bordure duquel se dresse maintenant l’imposant immeuble post-moderne des services du Parlement européen – se réunirent à l’occasion de la cinquième édition des congrès Solvay, sur le thème « Électrons et photons », vingt-neuf savants qui constituèrent cinq jours durant la plus extraordinaire concentration d’humanité spéculative du XXe siècle. Une photographie, prise au matin du 24 octobre dans la fraîcheur humide du parc, au pied du bâtiment, rassemble les vingt-neuf figures fantomatiques en noir et blanc, vêtues de costumes austères, le col tenu par une cravate ou un nœud papillon, certains tenant leur chapeau à la main, et qu’il convient de tous nommer :

À l’arrière : Auguste Piccard, Émile Henriot, Paul Ehrenfest, Édouard Herzen, Théophile de Donder, Erwin Schrödinger, Jules-Émile Verschaffelt, Wolfgang Pauli, Werner Heisenberg, Ralph H. Fowler, Léon Brillouin.

Au milieu : Peter Debye, Martin Knudsen, William Lawrence Bragg, Hendrik Anthony Kramers, Paul Dirac, Arthur Compton, Louis de Broglie, Max Born, Niels Bohr.

À l’avant : Irving Langmuir, Max Planck, Marie Curie, Hendrik Lorentz, Albert Einstein, Paul Langevin, Charles-Eugène Guye, Charles Thomson Rees Wilson, Owen Willans Richardson.

Là, entre le 24 et le 29 octobre, se déroula au sein de cette assemblée sans pareille une lutte dialectique historique dans le but d’approcher au plus près la vérité physique de la matière, entre deux protagonistes portés eux aussi par l’esprit, qui sait ? Albert Einstein et Niels Bohr. Car les vingt-neuf venaient aussi pour en découdre. S’ils obéissaient plus ou moins à la civilité académique dans la tradition universitaire policée par près d’un millénaire de débats, de querelles et de procès universitaires, de Bologne à Oxford, de Paris à Cracovie, de Padoue à Heidelberg, avec toute la latitude de comportements parfois déroutants, tolérés de personnalités investies de savoirs hors du commun, vaguement inquiétants, voire de pouvoirs que le profane tenait pour quasi-occultes, ils n’en étaient pas moins de simples représentants du genre Homo en proie aux affects primaires de la compétition inter-individuelle, de la jalousie et de la soif de gloire. Ils venaient là, les uns convaincus de l’achèvement de la mécanique quantique, cette théorie toute neuve qui avait bouleversé le cadre de référence de la physique classique, jusque dans l’abandon d’un principe aussi antique que la causalité, selon l’échafaudage conceptuel désigné plus tard sous le vocable d’« école de Copenhague », incarnée par son chef de file, Niels Bohr, prix Nobel 1922, Heisenberg ou Pauli ; les autres, persuadés du caractère provisoire des conséquences troublantes de la théorie quantique et résolus à conserver l’objectivité déterministe de la physique, réunis autour d’Einstein, prix Nobel 1921, tels de Broglie ou Schrödinger. Ce partage en deux camps devait être nuancé car, s’agissant de découverte scientifique, les représentations de la matière des uns et des autres, à l’aide des instruments mathématiques les plus sophistiqués, s’accommodaient de mille et une hypothèses, expérimentations et vérifications en proie au doute. De plus, ces principes – incertitude contre déterminisme objectiviste – étaient traversés par d’autres problématiques – telle la dualité onde-corpuscule – qui interféraient avec eux, dessinant d’autres divergences ou rapprochements intellectuels. Au-delà de leur ego fortement prononcé, de leurs antagonismes théoriques que le temps partagerait en perdants et en gagnants, ils formaient une communauté avec ses us et coutumes, ses rituels, ses lieux d’échange d’une université l’autre, se rencontrant entre Berlin, Zurich, Berne, Vienne, Copenhague, Paris, Bruxelles, Munich, Prague, Stockholm, Göttingen, Leipzig, Hambourg, Leyde, traversant parfois la mer du Nord ou la Manche pour gagner Manchester ou Cambridge, et bientôt l’océan pour Princeton ou Chicago, éprouvant dans leurs itinérances ferroviaires mêmes ce fait que l’extraordinaire efflorescence scientifique à laquelle ils participaient avait connu une avancée décisive avec la relativité restreinte formalisée en 1905 par Einstein, justement à partir du problème contemporain d’unifier les horloges à l’échelle du continent, voire de la planète, afin de régler avec précision les départs et les arrivées des trains. Ainsi que plusieurs d’entre eux en témoignent dans leurs mémoires, ces savants venaient s’attendre les uns les autres sur des quais de gare, entamaient aussitôt la discussion, parlaient ainsi jusqu’au coucher et reprenaient leurs confrontations d’idées le lendemain en se raccompagnant pour un nouveau départ. Par exemple Niels Bohr se rendant de Copenhague à Leyde le 20 novembre 1925 pour fêter le cinquantième anniversaire du doctorat de Lorentz, faisant escale à Hambourg où Pauli qui enseigne dans cette ville l’attend à la gare, fébrile, désireux de recueillir son avis sur le spin de l’électron, tout juste découvert par Samuel Goudsmit et George Uhlenbeck. Bohr se montre sceptique. À Leyde, ce sont Einstein et Ehrenfest qui viennent accueillir Bohr, également pour débattre de cette découverte. Au retour, lorsque le train s’arrête à Göttingen, Heisenberg et Jordan l’attendent sur le quai. Puis, Bohr se rend à Berlin pour fêter le vingt-cinquième anniversaire de la publication de Planck sur les quanta, en 1900. À son arrivée à la gare de Lehrte, venu de Hambourg Pauli est là pour apprendre que de station en station la position de Bohr a évolué et qu’il commence à intégrer le concept de spin.
La présidence du cinquième congrès Solvay de Bruxelles était assurée par le vieux Lorentz, théoricien des phénomènes optiques et électromagnétiques, lauréat du prix Nobel en 1902, quelque peu dérouté par la nouvelle physique mais d’esprit ouvert. Sa maîtrise de l’anglais, de l’allemand et du français lui facilitait la tâche. À peine la photographie de la réunion avait-elle été enregistrée sur la plaque que les vingt-neuf s’étaient retrouvés en séance pour entendre – en guise de hors d’œuvre dans l’attente des avancées les plus brûlantes de la théorie des quanta – l’exposé de Bragg, en anglais, sur l’intensité de la réflexion des rayons X. Bragg, de l’université de Manchester, avait obtenu le prix Nobel en 1915, à l’âge de vingt-cinq ans – il est vrai partagé avec son père William H. Bragg – pour ses travaux sur l’utilisation des rayons X dans la recherche sur la structure des cristaux. Son but ? Construire une « image » de cette structure atomique au moyen des rayons X, ou bien une déduction de la forme, ou bien encore une « esquisse de représentation de cet atome » à partir des mesures de diffusion du rayonnement. Il étudiait comme à tâtons ces étonnantes architectures cristallines dont les constituants s’assemblent de manière régulière, géométrique, en modules répétés, s’étendant de manière réticulaire sous la forme d’édifices qui avaient tant fasciné les romantiques allemands, dans lesquels ils voyaient un ordre caché, une écriture tridimensionnelle à déchiffrer. Bragg et ses collègues cherchaient eux aussi à percer les secrets de la nature, comme on disait, son ordre sous-jacent, son plan, la succession des lettres derrière le voile des apparences, qu’ils traduisaient en lois, constituant à travers leurs thèses, leurs articles, les comptes rendus de leurs expériences, une vaste jurisprudence, toujours plus fine, plus exacte, sans terme, harassante, courant après l’ultime vérité promise, la formule définitive qui résoudrait l’énigme. Et pourtant, de génération en génération, un malin génie annihilait leurs prises successives et relançait un peu plus loin l’objet insaisissable qu’ils devinaient à la pointe de leurs équations, avant de le perdre de nouveau, provisoirement rassurés par un appareillage technologique toujours plus puissant, repartant inlassablement à l’assaut de cette vérité formulée à la craie sur un grand tableau noir. À l’exposé de Bragg succéda une courte discussion au cours de laquelle Heisenberg, Dirac, Born et de Broglie prirent la parole.
Après le déjeuner, l’exposé de Compton, professeur à l’université de Chicago, tout juste auréolé du prix Nobel reçu quelques semaines plus tôt, prolongea celui de Bragg en traitant des « discordances entre l’expérience et la théorie électromagnétique du rayonnement », autrement dit l’incapacité de cette théorie ondulatoire à rendre compte de l’effet photo-électrique ainsi que de l’augmentation de la longueur d’onde des rayons X lors de leur diffusion par des électrons. Compton réaffirma l’obsolescence du concept d’« éther », cette hypothèse d’un milieu homogène dans lequel les ondes électromagnétiques étaient censées se propager. « Y-a-t-il un éther ? » demanda-t-il avant d’expliquer qu’il n’y en avait pas, avec tact pour ne pas heurter Lorentz qui avait passé sa vie de savant à rendre compatible le corpus expérimental sur les phénomènes électromagnétiques avec l’existence de ce référentiel absolu. « Si nous abandonnons l’idée d’un éther, poursuivit Compton, il est plus simple de supposer que l’énergie se meut sous forme de corpuscules plutôt que sous forme d’ondes. » Parallèlement à l’explication du phénomène de la lumière par les ondes, une autre tradition explicative par les « corpuscules de lumière » existait en effet depuis Newton. Elle avait été relancée par Planck à l’orée du siècle. Il était là, Planck, sagement attentif dans son costume noir, le plus noir de l’assistance, austère, semblant tout droit sorti d’un laboratoire de la fin du siècle d’avant. C’était lui, la rémanente présence de l’acte primordial, qui dans le Berlin devenu capitale épanouie du deuxième Reich, une puissance grandie sous l’inexorable poussée de l’industrie du charbon et de l’acier, elle-même entraînée par les avancées de la science, à moins qu’elle n’en fût plutôt l’instigatrice, la grande industrie ou bien l’alliance du pouvoir politique et de la richesse capitaliste, comme tendait à le montrer la fondation de l’Institut impérial de physique et technologie dont les bâtiments avaient poussé sur un terrain de Charlottenburg offert par Werner Siemens, l’inventeur de la dynamo électrique et prospère industriel ; toujours est-il que c’était lui, Planck, qui en 1900 avait effectué la découverte fondamentale par laquelle la Belle Époque avait basculé dans les temps modernes. Lorsque le 19 octobre de cette année-là il avait inscrit à la craie, au grand tableau noir de la salle de réunion de la Société allemande de physique la formule qu’il venait de découvrir pour résoudre l’incapacité de la loi de Wien à rendre compte du rayonnement du corps noir dans le domaine des grandes longueurs d’onde, le savant ne pensait qu’à une simple amélioration de l’équation, mais très vite il réalisa que sa trouvaille – confirmée par les données de l’expérience – contredisait les lois de la thermodynamique et de l’électromagnétisme, c’est-à-dire les bases mêmes de sa foi dans la science physique. Il traversa les six semaines suivantes à combattre dans le noir avec l’ange, sacrifiant tout ce en quoi il avait cru, dans un arrachement qu’il qualifia lui-même d’« acte de désespoir », sentant passer sur sa nuque le souffle de l’effroi, comme s’il avait rencontré face à face cet absolu qui le hantait, se résolvant à constater que l’énergie du rayonnement ne se transmet pas continûment mais par « paquets » indivisibles. Le 14 décembre il revint devant la même assemblée pour exposer le contenu de son mémoire intitulé « Sur la théorie de la loi de la distribution d’énergie sur un spectre normal », laquelle se résolvait par cette nouvelle constante à laquelle son nom fut attaché et suivant laquelle les flux qui traversaient la matière étaient constitués par ces fameux quanta. Einstein avait repris cette hypothèse de la discontinuité dans son article de 1905 intitulé Un point de vue heuristique concernant la production et la transformation de la lumière pour expliquer le phénomène photo-électrique par l’émission d’un « quantum d’énergie », par la suite baptisé « photon ». Compton plongeait donc ses vingt-huit collègues au cœur de la problématique ondes-corpuscules : « Il ne faut pas croire, poursuivit-il, que les manières de voir de ces deux théories s’excluent nécessairement l’une l’autre, il se pourrait bien qu’elles fussent complémentaires. » Mais comment ? Lors de la discussion qui suivit son exposé, Lorentz prit immédiatement la parole pour sauver la notion d’éther : « À mon avis la théorie de la relativité n’exclut pas nécessairement la notion d’un milieu universel » dit-il. Compton lui répondit, toujours avec ménagement, mais fermeté : « Que quelque chose se propage comme une onde semble évident. Cependant, des expériences comme celles que nous venons de discuter montrent, si elles sont bonnes, que l’énergie du faisceau de rayon X se propage sous forme de particules et non sous forme d’ondes qui s’étendent. » À la fin de cette première journée, tous les protagonistes majeurs s’étaient exprimés, même Schrödinger en dessinant au tableau, à la craie de couleur et à l’invitation d’Ehrenfest, le système des quatre trains d’ondes par lequel ce dernier avait essayé de représenter l’effet Compton. Dirac et Born avaient également pris la parole ainsi que Marie Curie, deux fois prix Nobel, en 1903 et 1911, seule femme dans cette assemblée masculine. Tous avaient parlé. Albert Einstein, lui, se taisait.
La matinée du lendemain, mardi 25 octobre 1927, fut consacrée à une visite de l’université libre de Bruxelles. Puis, sous l’intitulé « La nouvelle dynamique des quanta », Louis de Broglie, de l’université de Paris, alors âgé de trente-cinq ans, ayant soutenu sa thèse de doctorat seulement trois ans plus tôt, mais déjà pressenti pour le prix Nobel qu’il obtint en 1929, présenta en français sa théorie de l’« onde pilote ». « Quel lien doit-on établir entre les corpuscules et les ondes ? » demanda-t-il en introduction, avant de se lancer dans un exposé académique en bonne et due forme, examinant tour à tour les interprétations voisines de la sienne : celle de Schrödinger suivant laquelle la réalité physique est uniquement de nature ondulatoire, le corpuscule constituant un « paquet d’ondes » ; « Pour monsieur Schrödinger, résuma-t-il, l’électron dans l’atome est en quelque sorte « fondu », on ne peut plus parler ni de sa position, ni de sa vitesse » ; celle de Born, que partageaient Heisenberg, Pauli et Bohr entre autres, suivant laquelle le caractère de l’onde demeurait purement statistique et était seulement capable de décrire des probabilités de localisation et d’état de mouvement dans l’espace-temps ; « Monsieur Born paraît même abandonner l’idée du déterminisme des phénomènes physiques individuels » regretta de Broglie. Après quoi il développa sa propre vision : c’était à partir de la découverte du photon de l’onde lumineuse par Einstein qu’il avait eu l’idée que toute particule, comme l’électron, doit être transportée par une onde dans laquelle elle est incorporée. Son principe était d’étendre à toutes les particules la coexistence des ondes et des corpuscules qu’Einstein avait révélée en 1905 dans le cas de la lumière et des photons. À toute particule matérielle devait être associée une onde réelle. D’où la métaphore de l’« onde pilote » qui résonnait poétiquement dans la langue française. Pour de Broglie, cette onde « existait » bel et bien. La nature, extrapolait-il, présentait ce double aspect, ondulatoire et corpusculaire, l’onde réelle guidant le corpuscule dans son voyage. C’était une représentation visuelle qu’il tentait de saisir : « Je cherchais donc à me représenter la dualité onde-corpuscule par une image spatiale où le corpuscule serait le centre d’un phénomène ondulatoire étendu » expliqua-t-il encore. À ce point de son exposé, le congrès avançait vers son climax dramatique. Pour lui, l’électron existait simultanément en tant que particule et en tant qu’onde.
C’est pourquoi, dans la discussion qui suivit, il essuya les critiques de ses collègues, Born le premier pour qui l’électron se comportait seulement tantôt comme une particule, tantôt comme une onde. Pauli l’accrocha sur le fondement mathématique de sa présentation qui était son terrain de prédilection : « De toute façon, je ne crois pas que cette représentation puisse être développée de manière satisfaisante » affirma-t-il abruptement selon sa manière. De Broglie ne répondit rien, malgré les tentatives de Brillouin pour le défendre. Même Schrödinger qui était parvenu à la formulation de son équation d’onde, à la Noël 1925, après avoir été aiguillé par l’« ingénieuse thèse » de Louis de Broglie, qu’il avait décidé de pousser sur le plan mathématique, posa une question quelque peu absconse qui ne reçut d’ailleurs pas de réponse. Puis ce fut Kramers, et de nouveau Pauli, puis Schrödinger encore qui se distingua de la théorie ondulatoire du savant français en le contredisant : « Mais je ne crois pas que dans le domaine de l’atome on puisse encore parler d' »orbites » » conclut-il. Quant à Einstein, il se taisait.
Avec l’entrée en scène de Max Born et Werner Heisenberg, le lendemain mercredi 26 octobre 1927, à partir de dix heures, les participants au congrès firent un pas de plus dans l’intrigue que la nature – car tous croyaient à cette entité – avait écrite pour eux. En complément ou en illustration du langage mathématique seul désormais véritablement opérant, sous le titre générique « La mécanique des quanta », c’est en allemand qu’elle s’exprima, la nature. Max Born, de l’université de Göttingen, âgé de quarante-cinq ans, qui ne devait obtenir le prix Nobel qu’en 1954, et son ancien assistant, Heisenberg, vingt-six ans, tout juste nommé à l’université de Leipzig et qui reçut, lui, le prix dès 1932 – il est vrai avec un sentiment de dette envers Born et Jordan – présentèrent conjointement cette théorie en se partageant les quatre chapitres impeccablement distribués en « formalisme mathématique », « interprétation physique », « formulation des principes » et « applications ». Born en revendiqua d’emblée le caractère définitif : « La mécanique des quanta sera une théorie intuitive et complète des processus micro-mécaniques » lança-t-il, avant d’affirmer le caractère discontinu de la matière à l’échelle atomique et de détailler l’échafaudage mathématique qui tentait de décrire les sauts quantiques en interprétant les propriétés physiques des particules comme des matrices évoluant dans le temps. C’était Heisenberg qui le premier s’était aventuré dans ce formalisme mathématique, ensuite consolidé par Born, Jordan, Pauli ainsi que Dirac. Heisenberg raconta bien plus tard comment, en proie à un gros rhume, il s’était réfugié sur l’île de Heligoland en mer du Nord, cherchant à se dépêtrer du fatras des formules mathématiques par lesquelles il essayait de traduire l’intuition qui le taraudait, à savoir l’inutilité de courir après les orbites des électrons pour raisonner sur les seules données observables des fréquences d’oscillations et des amplitudes qui déterminaient l’intensité du rayonnement spectral, en l’occurrence celui de l’hydrogène qu’il étudiait sous la direction de Born. Il fallait donc se déprendre de l’image de l’atome comme un système planétaire en miniature avec ses électrons tournoyant autour du noyau. Il raconta ainsi comment, au cours d’une nuit, dans la chambre qu’il avait louée au-dessus du port, face à la mer au loin, alors qu’il travaillait intensément depuis plusieurs jours, au moment où il vérifia la validité de son schéma mathématique par la concordance de ses calculs avec la loi de conservation de l’énergie, il éprouva dans une extase le sentiment d’avoir découvert, quoi ? une vérité jamais contemplée dont l’inquiétante beauté l’étreignit d’effroi. Après quoi, raconta-t-il, trop excité pour dormir, il se rendit dans les premières lueurs de l’aube jusqu’à un éperon rocheux où il attendit le lever du soleil sur les flots.
Au fond, fit encore remarquer Max Born lors de leur présentation, l’équation de la fonction d’onde de Schrödinger ne constituait qu’un cas particulier de cet appareillage de transformation matricielle. Puis, il enchaîna sur l’interprétation qu’il fallait, selon lui, donner à cette construction mathématique, regrettant qu’elle ne semblât pas donner des renseignements directs sur des phénomènes réels, mais seulement sur des états des processus possibles. Il y avait là l’annonce du deuil de la certitude qui avait jusqu’alors prévalu dans cette branche de la connaissance : « Si l’on demande quand se produit un saut quantique, expliqua-t-il, la théorie reste sans réponse. » Était-ce par quelque défaut provisoire à combler ? C’est ce qu’ils avaient d’abord pensé, Heisenberg, Jordan et lui. Mais non, avaient-ils été obligés de conclure. Il fallait se rendre aux données de l’observation et admettre l’indétermination fondamentale des faits atomiques, seulement approchables par la voie statistique.
Puis ce fut au tour du jeune Heisenberg de prendre la parole, souriant, décontracté, au teint bronzé de sportif habitué aux pistes de ski et des randonnées en montagne, habillé d’une simple veste de laine. Il exposa donc « son » principe d’incertitude en commençant par proclamer la caducité des concepts tels que la « position », la « vitesse », le « moment » ou l’« énergie » appliqués à une particule, comme si les vieilles images ainsi que la vieille langue de la philosophie naturelle s’étaient effondrées au profit d’une nova lingua mathematica toujours plus abstraite, laquelle tentait de saisir cet invisible objet pourtant tout proche – encore que la catégorie d’« objet » faisait elle-même défaut pour désigner cette « réalité » qui elle aussi se dissolvait dans l’abstraction. En manière d’hommage à l’inventeur des quanta, il expliqua que cette indétermination fondamentale introduite dans les lois naturelles par le dualisme des ondes et des corpuscules était pour ainsi dire contenue en puissance dans la constante de Planck : « Le véritable sens de la constante de Planck, dit-t-il encore, est donc qu’elle constitue la mesure universelle de l’indétermination introduite dans les lois naturelles par le dualisme des ondes et corpuscules. » Dans le langage naturel, Heisenberg faisait varier son vocabulaire, parlant tantôt d’« indétermination », tantôt d’« inexactitudes » ou encore d’« incertitude ». Tout en écrivant la formule au tableau, il expliqua comment ces « inexactitudes » peuvent être calculées. « Toutefois, précisa-t-il, en rétrécissant le domaine d’une des variables qui constitue l’essence d’une mesure, on élargit inévitablement le domaine de l’autre. Que la théorie des quanta consiste en un mélange de principes strictement mécaniques et de principes statistiques, résuma-t-il, on peut le considérer comme une conséquence de cette indétermination. »
À la fin de la quatrième partie de leur exposé commun sur les applications de la mécanique quantique, Heisenberg conclut en ces termes, au style indicatif et dans un esprit quelque peu péremptoire : « Nous tenons la mécanique des quanta pour une théorie complète, dont les hypothèses fondamentales physiques et mathématiques ne sont plus susceptibles de modifications. » Lors de la discussion qui suivit, le vieux Lorentz exprima son étonnement de voir le calcul matriciel appliqué à l’observation de l’atome mais, tout en faisant élégamment part de son doute, pris acte du pas que la science physique avait ainsi franchi dans la voie de l’abstraction. Ni Schrödinger, ni Ehrenfest, ni même Max Planck ne prirent la parole et encore moins Albert Einstein.
À quinze heures cet après-midi-là, il revint à Schrödinger, tout en concentration cérébrale, alors âgé de quarante ans et venant d’entrer en fonction le 1er octobre à l’université de Berlin en qualité de successeur de Max Planck, de présenter – dans la langue anglaise qui commençait ainsi sa carrière de sésame hégémonique dans les colloques scientifiques – la théorie de « la mécanique des ondes ». C’est lui en effet qui le premier était parvenu à la formaliser mathématiquement dans le cadre de la physique quantique, suivant la fameuse fonction qui lui valut le prix Nobel en 1933. L’un de ses amis raconta, bien plus tard, comment entièrement préoccupé de faire venir au jour l’équation qui manquait dans la thèse de Louis de Broglie, il avait retrouvé en secret une ancienne maîtresse à la Villa du docteur Herwig, dans la station de sports d’hiver d’Arosa, voisine de Davos dans les Grisons, une villégiature qu’il connaissait bien pour y avoir soigné durant de longs mois de 1922 l’infection de tuberculose dont il souffrait et comment – raconta l’ami – la formule tant désirée de l’équation bientôt baptisée de son nom avait jailli de leurs ébats dans l’air limpide des hauteurs. À son retour à Zurich, dès la rentrée de janvier, Schrödinger avait vérifié qu’elle reproduisait correctement les résultats obtenus sur l’atome d’hydrogène par Bohr et Sommerfeld. « On développe actuellement, commença-t-il devant ses collègues du congrès, sous le nom de mécanique des ondes, l’une à côté de l’autre, deux théories qui sont, il est vrai, étroitement liées, mais ne sont pas cependant identiques. » L’une, désignée comme « mécanique ondulatoire quadridimensionnelle » portait sur la description d’un électron dans l’espace à trois dimensions, suivant la ligne de Louis de Broglie ; l’autre, dite « mécanique ondulatoire polydimensionnelle » décrivait un système quelconque de points dans l’espace multidimensionnel, à l’aide d’une mathématique artificielle. Et il proposa de démontrer que ces deux approches n’étaient pas conciliables. Parlant au conditionnel, il fit varier les hypothèses, favorisant l’interprétation qui résolvait les sauts quantiques avec une solution de continuité : « Ou bien tous les changements dans la nature sont discontinus, résuma-t-il, ou bien il n’y en a aucun qui le soit. » Pour lui, c’était l’aspect incomplet de la théorie corpusculaire qui expliquait cette discontinuité. Contrairement à Heisenberg l’iconoclaste, lui cherchait une image, même naïve, pour représenter « son » système, par exemple celle d’une photographie instantanée qui serait entièrement remplie par tous les états possibles du système classique.
Lors de la discussion, Schrödinger attira les critiques de Bohr, puis de Born et de Heisenberg qui s’adressa à lui à la troisième personne : « Monsieur Schrödinger dit à la fin de son rapport, attaqua-t-il, que les considérations qu’il a données confirment l’espoir que notre connaissance pourra être approfondie et qu’il sera possible d’expliquer et de comprendre en trois dimensions les résultats fournis par la théorie polydimensionnelle. Mais je ne vois rien dans les calculs de monsieur Schrödinger qui justifie cet espoir. » Lors de cet échange, Einstein continua, lui, de se tenir muet.
Or, ce ne fut pas dans la salle de réunion de l’institut, lors des séances plénières, que se joua la partie essentielle des débats, mais dans la salle à manger Art déco de l’hôtel Métropole où logeaient les congressistes. Bohr et Einstein reprirent en effet le match théorique qu’ils avaient débuté dès leur première rencontre, à Berlin, en avril 1920, au cours de laquelle ils avaient parlé et parlé, du matin au soir, essayant de se convaincre mutuellement, Bohr n’admettant pas la théorie du quantum de lumière, Einstein n’admettant plus la théorie intégralement ondulatoire de la lumière, marchant et marchant à travers Berlin, inaugurant la lutte de deux forces humaines en quête de la vérité dans une complicité rivale et teintée d’humour qui les opposa encore durant de longues années. Bohr incluait désormais l’effet des mesures elles-mêmes dans le phénomène atomique, avec toutes les interrogations conséquentes sur l’impossibilité d’observer autrement que par approximation statistique quelque « objet » atomique que ce fût, d’où sa proposition de la complémentarité et sa formule Contraria sunt complementa ; Einstein ne voulait pas renoncer au déterminisme de la césure entre l’observateur et son objet, tenant les incertitudes de la nouvelle physique pour provisoires, en attente d’une théorie plus complète. Durant ces quelques jours s’instaura ainsi entre eux deux un duel, une partie d’échec à la puissance x dont ils inventaient et la table des opérations et les règles et les figures au fur et à mesure des coups, suivant un protocole qui débutait généralement au petit déjeuner, lorsque Einstein, fidèle à sa méthode, proposait à Bohr une « expérience de pensée », soit un problème mis en situation qui tendait à prendre en défaut la complétude de la mécanique quantique. La discussion s’ouvrait à table puis, laissant derrière elle les tasses vides et les serviettes froissées, se poursuivait à pied sur le chemin de l’institut, Einstein allant en avant, souriant sous sa moustache, tandis que Bohr suivait un demi pas en arrière, développant argument sur argument. Suivant le témoignage de Heisenberg ̶ lui-même et Pauli assistaient à ces échanges ̶ ils en débattaient passionnément tout au long de la journée dans les intervalles entre les conférences, jusqu’au soir. Au dîner, flanqué de Pauli et d’Heisenberg, en présence – au moins une fois – d’Ehrenfest et de Louis de Broglie, ce dernier très intrigué mais incapable de suivre les raisonnements qui s’exhalaient de la bouche de ses confrères en ondes sonores dans le système phonétique de la langue allemande, Bohr apportait à Einstein une réfutation qui réaffirmait la validité des relations d’incertitude. Alors Einstein, après avoir tenté de contrecarrer l’objection par de nouvelles variantes de contre-exemples se retirait dans sa chambre, son sourire retombé. Mais le lendemain matin, tel un diable sortant de sa boîte il reparaissait au petit-déjeuner, frais et dispos, et lançait une nouvelle objection sous la forme d’une nouvelle expérience mentale en proclamant :

— Dieu ne joue pas aux dés !

Le jeudi 27 octobre, le congrès fut interrompu pour permettre aux participants de se rendre à Paris, où l’Académie des sciences célébrait le centenaire de la mort d’Augustin Fresnel, le physicien de la lumière du début du XIXe siècle. Il reprit le lendemain à quatorze heures pour son épilogue sous forme d’une discussion générale que Lorentz ouvrit en posant les questions de la causalité, du déterminisme et de la probabilité : « Jusqu’ici, résuma-t-il, nous avons toujours voulu former une représentation, une image des phénomènes dans notre esprit au moyen des notions de temps et d’espace. » Avec sa barbe blanche, sa redingote noire, son nœud papillon, son élégance bienveillante, sa tolérance, le vieux savant représentait la vieille physique et la vieille certitude : « Pour moi, annonça-t-il, un électron est un corpuscule qui, à un instant donné se trouve en un point déterminé de l’espace, et si j’ai l’idée qu’à un moment suivant ce corpuscule se trouve ailleurs, je dois songer à sa trajectoire, qui est une ligne dans l’espace. » Il exprimait la nostalgie du vieux monde qui s’en allait : « Je voudrais conserver cet idéal d’autrefois, de décrire tout ce qui se passe avec des images nettes », confessa-t-il. « Ne pourrait-on garder le déterminisme en en faisant un objet de croyance ? » implora-t-il pour finir. Lorentz mourut quelques mois plus tard. Au début de la dernière discussion, comme plusieurs voix se mirent à parler ensemble, dans plusieurs langues, pour s’imposer dans le brouhaha Ehrenfest se leva et alla écrire au tableau : « Et le Seigneur confondit les langues de la terre. » Aussi bien aurait-il pu écrire son équivalent symétrique : « Nous creusons la fosse de Babel. » Car ce dieu qui ne jouait maintenant plus aux dés était bel et bien mort, à moins qu’il ne fût désormais à la fois mort et vivant. Ce n’était pas le hasard que ce coup-là avait aboli mais notre vieux destin. Bohr prit la parole et tenta de clarifier à l’aune de sa théorie de la complémentarité les points de vue qui s’étaient opposés. S’adressait-il en particulier à Einstein ? « Le postulat des quanta, répéta-t-il, a pour conséquence le renoncement à la description causale des phénomènes atomiques dans le temps et dans l’espace, chaque observation exige une action réciproque entre l’objet observé et l’instrument de mesure, les notions de temps et d’espace perdent leur sens immédiat, le postulat des quanta, répéta-t-il encore, nous place devant le problème de l’élaboration d’une théorie de la complémentarité, où l’absence de contradiction ne peut se résoudre que dans une estimation des possibilités de définition et d’observation, les deux conceptions de la nature de la lumière représentent deux tentatives d’adaptation des faits expérimentaux à notre manière ordinaire de concevoir le monde, par laquelle la limitation des notions classiques est exprimée d’une façon complémentaire. » Tournant et retournant la question, la reformulant, reprenant les mêmes idées avec d’infimes variations, il buta sur le même obstacle : « Nous nous heurtons donc ici de nouveau, constata-t-il, à l’opposition entre le principe de superposition de la théorie des ondes et l’hypothèse d’individualité des particules ; mais j’espère, conclut-il, que la notion de complémentarité conviendra pour caractériser l’état des choses actuel qui montre une profonde analogie avec la formation des notions humaines basée sur la séparation du sujet et de l’objet. » C’est seulement alors qu’Einstein, faisant signe à Lorentz pour demander la parole, enfourcha son balai pour entrer dans le sabbat des sorcières, comme il qualifia lui-même ces discussions avec ses pairs. Lui cherchait depuis plus de vingt ans déjà, non pas une conciliation entre les deux natures de la lumière sous le régime de la complémentarité ou de quelque autre principe, mais sous la forme d’une synthèse. Il se rendit à son tour au tableau et, fidèle à sa méthode, proposa l’expérience suivante : voici un écran percé d’une petite ouverture par laquelle on projette des électrons vers une plaque photographique disposée en demi-sphère. Ces électrons traversent l’ouverture comme des ondes mais frappent la plaque comme des particules. Soit, expliqua alors Einstein, on considère que l’on a affaire à des ondes, telles que les entendent de Broglie et Schrödinger, lesquelles correspondent à un nuage d’électrons dans l’espace – et dans ce cas la théorie ne donne aucun renseignement sur les processus individuels – soit on considère que suivant la théorie des processus individuels chaque particule qui se dirige vers l’écran, est décrite comme un paquet d’ondes et arrive en partie sur l’écran dans un état de résolution. « Mais, continua-t-il, j’ai une objection à faire à la deuxième conception, c’est que dans cette situation il pourrait arriver qu’un même processus élémentaire produise une action en deux ou plusieurs endroits de l’écran à la fois, ce qui à mon sens contrevient au postulat de la relativité. » Il signifiait par-là que la particule en question dépasserait la vitesse de la lumière. Par ces mots, Einstein inaugurait des décennies de nouveaux débats. Mais où voulait-il en venir exactement ? C’est une autre histoire. Bohr répondit néanmoins, analysant le dispositif proposé par Einstein, interrogeant les conditions de l’expérience suivant les acquis de la mécanique quantique, interrogeant la position de l’écran. Einstein compliqua alors le problème en introduisant un deuxième écran cette fois percé de deux ouvertures, formant un dispositif qui rendait possible, selon lui, de déterminer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule avec plus de précision que ne l’autorisait le principe d’incertitude. Mais pour Bohr, cette variante confirmait plutôt la complémentarité des phénomènes, la lumière n’était ni une onde, ni un corpuscule en tant que tels, elle était les deux, se comportant tantôt comme l’une, tantôt comme l’autre en fonction de l’expérience ou, si l’on préférait, en fonction de la question posée. Il fallait choisir, soit suivre le passage de la particule ou bien observer les effets d’interférence. Mais pas les deux. C’était l’un ou l’autre. Einstein posa encore une question, mais sans rapport direct avec l’expérience, puis il retomba dans le silence.

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