L’Europe qui vient – La fuite des Argonautes

Quant à la princesse disparue, elle donne naissance à trois fils, dont Minos, roi de Crète. Selon la suite du récit, comme dans une image inversée des amours de sa mère avec le roi des dieux, Minos implore son ancêtre Poséidon de faire surgir de la mer un taureau à sacrifier. Mais, quand il voit l’animal sortir des flots, majestueux et tout blanc, Minos en est subjugué, refuse de le tuer et le cache parmi ses troupeaux. De colère, Poséidon anime le taureau de fureur, lui fait dévaster les terres de l’île et inspire à la reine Pasiphaé, épouse de Minos, une passion irrépressible pour le fauve. Elle demande à l’architecte Dédale de fabriquer un simulacre de vache, en bois creux, dans lequel elle s’offre aux assauts du taureau ainsi leurré. De leurs amours bestiales naît le minotaure, homme par la tête, taureau par le corps. Minos, ayant consulté les oracles, s’adresse au même Dédale pour qu’il façonne un piège où enfermer ce monstre. Ainsi est inventé le labyrinthe. Comme tu t’en souviens, le mythe raconte ensuite l’histoire de Thésée et d’Ariane, puis celle d’Icare.
Mais, pendant ce temps, partis de Pagases, un port de Magnésie – cette région réputée pour ses pierres aux étranges propriétés – à bord de l’Argo, Jason et ses quelque cinquante Argonautes labourent de leurs rames les flots infinis, comme aimantés par la Toison d’or tout là-bas, encouragés par le chant d’Orphée, leur maître de nage qui se tient à la proue :

— Nous irons en Colchide !

Quelle est cette toison ? Chassé de Thèbes, Phrixos s’enfuit sur son bélier ailé que Zeus – ce protecteur de tous les réfugiés de la mer du Milieu – lui envoie, un animal splendide à la toison dorée, aux cornes d’or et même doué de langage, qui l’emmène sur son dos jusque chez Aiétès, frère de Pasiphaé et roi de Colchide. Là, ce bélier extraordinaire demande lui-même à être sacrifié à Zeus, après quoi sa dépouille laineuse est suspendue à un chêne en trophée magique.
Or, les Argonautes franchissent à leur tour le Bosphore, s’enfoncent dans les brumes du Pont-Euxin, combattent des géants, aperçoivent au loin le mont Caucase à la cime duquel Prométhée, le voleur de feu enchaîné expie le crime d’avoir donné aux hommes la malédiction de la faim, tandis que l’aigle immense qui chaque jour lui dévore le foie survole la nef, assombrit la mer de ses ailes dont les battements leur coupe le vent et fait faseyer leur voile. C’est là-bas tout au fond, chez le roi Aiétès, en Colchide, que Jason doit affronter, en écho d’une histoire toujours rejouée, le féroce dragon gardien de la toison, qui ne dort jamais que d’un œil et dont les dents, semées chaque jour au champ de Mars, engendrent aussitôt des guerriers géants que le terrible roi de ce bout du monde, moissonne aussitôt de son épée. Éprise de Jason, Médée la magicienne, fille d’Aiétès, endort le dragon, laisse les Argonautes s’emparer de la toison et s’enfuit avec eux sur l’Argo. Au retour, Aiétès leur barre le Bosphore, ils s’engagent donc sur l’Ister, fleuve large et profond qui s’enfonce dans d’immenses plaines, et regagnent après bien des tours et détours, par l’intérieur des terres, en descendant le Rhône, la mer du Milieu, franchissant le détroit de Charybde en Scylla, jusqu’au fond de la Grande Syrte, avant de rentrer, par la Crète, au port de Pagases d’où ils étaient partis.

Le pli était pris de jeter au loin son regard et ses appétits pour aller voir ailleurs si j’y suis :

— Où vas-tu ?

— Je ne sais pas, dis-je, je ne veux que partir d’ici, seulement partir d’ici.

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